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Poésie

UN OISEAU CHANTAIT (Francis Vielé-Griffin)

Posted by arbrealettres sur 25 mars 2020



 

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UN OISEAU CHANTAIT

Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
Sur un chêne au bois,
— Autrefois —
Un rayon de soleil courait sur les blés lourds;
Un papillon flottait sur l’azur des lents jours
Que la brise éventait;
L’avenir s’érigeait en mirages de tours,
Qu’enlaçait un fleuve aux rets de ses détours :
C’était le château des fidèles amours.
— L’oiseau me les contait.

Derrière chez mon père, un oiseau chantait
La chanson de mon rêve;
Et, voix de la plaine, et voix de la grève,
Et voix des bois qu’Avril énerve,
L’écho de l’avenir, en riant, mentait :
Du jeune coeur, l’âme est la folle serve.
Et tous deux ont chanté
Du Printemps à l’Été.

Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Un oiseau chantait d’espérance et de joie,
Chantait la vie et ses tournois
Et la lance qu’on brise et la lance qui ploie;
Le rire de la dame qui guette
Le vainqueur dont elle est la conquête;
La dame est assise en sa gonne de soie
Et serre sur son coeur une amulette.

Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
De l’aube jusqu’en la nuit,
Et dans les soirs de solitaire ennui
Sa chanson me hantait;
Si bien qu’au hasard de paroles très douces
Je me remémorais ses gammes,
Apprises parmi les fougères et les mousses,
Et les redisais à de vagues dames,
Des dames blondes ou brunes ou rousses,
Des dames vaporeuses et sans âmes.

Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Un oiseau chantait la chanson de l’orgueil;
Et dans les soirs nerveux d’émois
Je l’écoutais du seuil;
Ils sont morts, les vieux jours de fiers massacres;
Mes orgueils, écumants du haut frein de mon veuil,
Se sont cabrés aux triomphes des sacres,
Ils ont flairé les fleurs du cercueil,
Arômes des catafalques — doux et acres;
Mes vanités sont au cercueil.

Derrière chez mon père, un oiseau chantait
Qui chante dans mon âme et dans mon coeur, ce soir;
J’aspire l’ombre ardente où fume un encensoir,
Ô jardins radieux qui m’avez enfanté!
Et je revis chaque heure et toutes vos saisons :
Joie, en rire de feuilles claires par la rive,
Joie, en sourires bleus de lac aux horizons,
Joie, en prostrations de la plaine passive,
Joie éclose en frissons;
Les jeunes délices qui furent dans nos yeux
— Aurores et couchants — les étoiles des cieux,
Et le portail de Vie ouvert et spacieux
Vers les jeunes moissons!

Derrière chez mon père, sur un chêne au bois,
Derrière chez mon père, un oiseau chantait,
En musique de flûte alerte et de hautbois,
En musique qui te vantait,
Toi, mon Rêve et mon Choix;
Sais-tu combien, aux soirs, s’alanguissait ma vie?
Sais-tu de quels lointains mon âme t’a suivie?
Et comme ton ombre la tentait,
Vers le Château d’Amour que l’oiseau chantait,
Sur un chêne au bois?
— Autrefois. —

(Francis Vielé-Griffin)

Illustration: Bai Guowen

 

2 Réponses to “UN OISEAU CHANTAIT (Francis Vielé-Griffin)”

  1. Oiseau de la friche
    ———-

    Un oiseau, pour chanter, se cache au creux du lierre
    Pendant que nous buvons et que nous rimaillons ;
    Autour de nous, ce sont la friche familière
    Et le petit jardin auquel nous travaillons.

    À l’ombre d’un bouleau, je vois la fourmilière
    Dont les noirs habitants forment leurs bataillons ;
    Voudront-ils explorer la maison de meulière,
    Ou visiter la vigne aux étroits cavaillons ?

    L’oiseau ne reste ici nullement pour les hommes,
    Il profite du lieu, il chante pour sa pomme,
    Quand le temps se réchauffe ou quand les jours sont froids.

    Il reprendra son vol, dans la brise marine,
    Pour aller se poser aux rives méandrines ;
    Il prend une cerise, il en a bien le droit.

    • Fougère à sortilèges
      ———-

      La fougère possède un pouvoir redoutable
      Qui lui fut conféré par l’éleveur de loups ;
      Ne la cueille jamais, ton coeur deviendrait flou
      Et le déclin pour toi serait inéluctable.

      Ce sort ne peut toucher le petit goupil roux,
      Lui que la fée Morgane avait fait connétable ;
      Martin Luther le dit dans ses Propos de Table,
      Au chapitre traitant des moeurs du loup-garou.

      La sorcière du bois, vieille dame ridée,
      Sur toute cette histoire aurait quelques idées ;
      Cependant, son projet pourrait tomber à l’eau.

      La fougère jamais n’a provoqué de drame,
      Elle qui nullement n’a le goût du mélo ;
      Ton coeur restera ferme et gardera sa flamme.

Qu'est-ce que ça vous inspire ?