« Ceci était mon fils ma fille
mon père ma mère
Cette chose mon aimé
mon aïeul mon enfant ! »
La femme vêtue de noir
agglutinée aux mouches
tournoie dans une houle d’amour
et d’aversion
Tournoie et se déchire
autour d’un tas de chair
qui suinte sous le jour
Ceci fut un vivant
Cette chose fut une personne
Ce sang dilapidé sur le bitume
s’ordonnait, hier encore, dans un réseau de veines
retissait, hier encore, la loi de l’existence
Ce coeur-sentinelle
s’est raidi sous le plomb
Ce sac-à-vermine
abritait des entrailles
où s’ouvrait le plaisir
où germinait la vie
Un rictus a drainé toute la pulpe de ces lèvres
Ces orbites-à-fourmis logeaient oeil et regards
Ceci fut un vivant
Cette chose fut une personne
L’esprit travaillait cette motte d’indifférence
La parole soulevait cette forme interrompue
La femme vêtue de noir
tremble sous la tourmente
hurle dans le chaos
s’agglutine aimantée
à ce profil d’écorce
à cette main qui stagne
à ce marécage d’humeurs
à ce baluchon putride
à ce « Toi que j’appelle
et qui ne seras plus ! »
(Andrée Chedid)
Editions: Flammarion