Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
À travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?
Je dors le front ouvert, je me promène,
Je dors, je suis la pierre et le feu,
Etranger, familier, tombé de nulle part
Comme en moisson les nielles de l’enfance.
La terre en croix me fait des confidences…
Je suis le fruit qu’on cueille et la feuille qu’on tranche;
Je suis l’eau sous la dent plumeuse du moulin
Et l’ombre rousse de la plus pauvre des servantes
Que le jour vêt et que farde le vent.
A l’aube, je suis dans la soute,
Ami des rats, confident du voleur;
Je suis la lampe et le doigt qui l’allège
Et le soleil aux plages des prisons.
Ai-je rêvé? Me voici sur la place,
Pointe de lance et gueule du canon:
Je meurs debout, je termine une race.
Mes amis ne m’ont pas connu.
Je suis la palme et le vent qui la brûle
Et la cendre sur l’eau posée comme un poème,
Comme un poème né d’hier, le plus câlin,
Comme une soeur imaginée dans la maison,
Coupant le pain, versant le vin, comme un poème
Né de la terre et déjà vieux qui boite au loin.
Je suis l’été, la femme dans son lit
Et son amant et sa grande douceur
Et sa fatigue et la porte fermée
Et son attente aux marches du matin.
Je suis au feu l’aile qui se consume;
Je suis au ciel l’aile recommencée,
Dans le courant la grâce d’un éclair
Et le buisson de lèvres du corail.
Je suis, je vais, je me promène,
Je dors le front ouvert dans un livre d’images
Et, faucheur de midi, j’aiguise les vivants
Pour leur apprendre à vivre et me donner raison.
Si un jour tu veux revenir
Sans mots, sans pleurs, sans même sourire
Négligemment et sans te retenir
Sans farder du passé tout l’avenir…
Le soir quand je te vois sourire
Sur cette photo qui ne veut rien dire
Sous ta vieille lampe qui tremble et chavire
Tu viens grimacer dans mes souvenirs
Maintenant, comme avant,
Doucement, sans pâlir, sans mentir, sans souffrir…
Aujourd’hui, je te dis:
Souffrir par toi n’est pas souffrir,
C’est comme mourir ou bien faire rire
C’est s’éloigner du monde des vivants
Dans la forêt, voir l’arbre mort seulement.
Comme un jour tu viendras sûrement
Dans ce salon qui perd son temps,
Ne parlons plus jamais de nos déserts…
Et si tu restes je mets le couvert
Maintenant, comme avant,
Doucement, sans pâlir, sans mentir, sans souffrir
Aujourd’hui, je te dis:
Tous les voyages ne veulent rien dire
Je sais des choses qui te feraient rire
Moi qui entassais des souvenirs par paresse
Ce sont tes vieux chandails que je caresse
Maintenant, comme avant, doucement
Restons-en au présent pour la vie,
Aujourd’hui, reste ici
Les années ont fardé mon visage
avec la mémoire des amours
et elles ont paré ma tête de tendres fils d’argent
jusqu’à m’embellir si fort.
Dans mes yeux se reflètent
les paysages.
Et les chemins que j’ai traversés
ont rendu droit mes pas
fatigués et beaux.
Si tu me voyais maintenant
tu ne reconnaîtrais plus les jours d’avant –
je vais vers moi-même
avec mon visage que tu recherchais en vain
quand je suis venue chez toi.
Le temps irrévocable a fui, l’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrais-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil?