Avec ces souvenirs d’automne gris et las
Qui traînent dans le parc blême leurs falbalas
Indifférents au galbe effacé des statues
– Le soir pâme au toucher de ces chairs dévêtues
Et sur le marbre nu met l’appât du velours –
Je farderai du rose alangui des vieux jours
Où l’avenue à l’infini du crépuscule
Jaune et mourante ainsi que du passé recule
Pour vous – pour vos espoirs renaissent tous les mois,
Le visage vieilli de nos jeunes émois,
Méditant notre amour et cette destinée
De la feuille qui meurt aux cendres condamnée.
J’avais cru, d’abord, trouver quelque consolation
en m’adonnant à la poésie.
MOB
Bravo ! c’est l’art que j’aurais voulu cultiver si on m’eut laissé libre.
Darder en plein soleil des paroles huppées ;
habiller de phrases une ombre, un squelette,
moins que cela, un rien ;
le coiffer de rimes, le chausser d’adverbes,
le panacher d’adjectifs, le farder de virgules :
quelle faculté dans l’homme monsieur;
et songer que tout lui obéit, premièrement, ce qui n’est pas !
Se plonger dans l’océan transparent des choses pour y pêcher le ciel,
et rapporter au rivage une douzaine de mots polis, luisants, ruisselants.
Ah ! voilà de ces vies d’émotion dont je serai éternellement jalouse.
— C’est ton corps que j’honore,
ton corps que je chante,
ton corps que j’écris,
ton corps que je regarde,
ton corps que je touche,
ton corps que je caresse,
ton corps que je lèche,
ton corps que je lave,
ton corps que je farde,
ton corps que j’habille,
ton corps que je soigne,
ton corps que je nourris,
ton corps que je panse,
ton corps queje parfume,
C’est ton corps que j’embrasse,
ton corps que je protège,
ton corps que je défends,
ton corps que je secours,
ton corps que je sauve,
ton corps queje fleuris,
ton corps que je supplie,
ton corps que je prie,
ton corps que j’admire,
ton corps que je pleure,
ton corps que je veille,
ton corps que j’embaume,
ton corps que j’enterre,
ton corps que j’éternise ;
(Yves Mabin Chennevière)
Recueil: Variations du sensible
Traduction:
Editions: De la Différence
Le père distribue la soupe à la tribu rongée d’amour
La mère signe le pain d’une croix salvatrice
où les enfants broiront l’ardeur de leurs baisers
le foin de leurs pensées s’incendie d’avenir.
Dans la tiédeur des mets languissent de belles lèvres
et le vin sent le sang, le sang frère et caché
le sang si doux dans la chair de verre :
« Que les enfants ont soif ! que les enfants ont faim ! »
Tous les désirs vivants semblent dormir ici
chiens muselés gardés la laisse au poing
et tous les tièdes yeux regardent dans la nuit
l’essaim des mouches blanches farder la terre.
C’est le silence et l’harmonie des coeurs
le père songe à la vache qui vèle
la mère songe au froid de cette neige
sur le froid du tombeau de l’enfant mort.
Jean-Paul songe à des chairs sans ombre
aux seins de la servante entrevus dans la grange
et Jeanne songe au berger de la sente :
ah ! neige née sur le feu de mon sang.
Les parents rient, des liserons de neige regardent la famille,
un Christ de poussière se meurt sur le mur
un Dieu laid comme un homme montre son coeur à nu,
l’horloge bat, ô mon coeur ! ô mon coeur ! si lente…
Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
À travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?
Je dors le front ouvert, je me promène,
Je dors, je suis la pierre et le feu,
Etranger, familier, tombé de nulle part
Comme en moisson les nielles de l’enfance.
La terre en croix me fait des confidences…
Je suis le fruit qu’on cueille et la feuille qu’on tranche;
Je suis l’eau sous la dent plumeuse du moulin
Et l’ombre rousse de la plus pauvre des servantes
Que le jour vêt et que farde le vent.
A l’aube, je suis dans la soute,
Ami des rats, confident du voleur;
Je suis la lampe et le doigt qui l’allège
Et le soleil aux plages des prisons.
Ai-je rêvé? Me voici sur la place,
Pointe de lance et gueule du canon:
Je meurs debout, je termine une race.
Mes amis ne m’ont pas connu.
Je suis la palme et le vent qui la brûle
Et la cendre sur l’eau posée comme un poème,
Comme un poème né d’hier, le plus câlin,
Comme une soeur imaginée dans la maison,
Coupant le pain, versant le vin, comme un poème
Né de la terre et déjà vieux qui boite au loin.
Je suis l’été, la femme dans son lit
Et son amant et sa grande douceur
Et sa fatigue et la porte fermée
Et son attente aux marches du matin.
Je suis au feu l’aile qui se consume;
Je suis au ciel l’aile recommencée,
Dans le courant la grâce d’un éclair
Et le buisson de lèvres du corail.
Je suis, je vais, je me promène,
Je dors le front ouvert dans un livre d’images
Et, faucheur de midi, j’aiguise les vivants
Pour leur apprendre à vivre et me donner raison.
Si un jour tu veux revenir
Sans mots, sans pleurs, sans même sourire
Négligemment et sans te retenir
Sans farder du passé tout l’avenir…
Le soir quand je te vois sourire
Sur cette photo qui ne veut rien dire
Sous ta vieille lampe qui tremble et chavire
Tu viens grimacer dans mes souvenirs
Maintenant, comme avant,
Doucement, sans pâlir, sans mentir, sans souffrir…
Aujourd’hui, je te dis:
Souffrir par toi n’est pas souffrir,
C’est comme mourir ou bien faire rire
C’est s’éloigner du monde des vivants
Dans la forêt, voir l’arbre mort seulement.
Comme un jour tu viendras sûrement
Dans ce salon qui perd son temps,
Ne parlons plus jamais de nos déserts…
Et si tu restes je mets le couvert
Maintenant, comme avant,
Doucement, sans pâlir, sans mentir, sans souffrir
Aujourd’hui, je te dis:
Tous les voyages ne veulent rien dire
Je sais des choses qui te feraient rire
Moi qui entassais des souvenirs par paresse
Ce sont tes vieux chandails que je caresse
Maintenant, comme avant, doucement
Restons-en au présent pour la vie,
Aujourd’hui, reste ici