Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘fretin’

FRÈRES AVEUGLES (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 1 avril 2020




    
FRÈRES AVEUGLES

Pensez à tous ceux qui voient
vous tous qui ne voyez pas
où vont-ils se laisser conduire
ceux qui regardent leur bout de nez
par le petit bout d’une lorgnette
Pensez aussi à ceux qui louchent
à ceux qui toujours louchent vers l’or
vers la mer leur pied ou la mort
à ceux qui trébuchent chaque matin
au pied du mur au pied d’un lit
en pensant sans cesse au lendemain
à l’avenir peut-être à la lune au destin
à tout le menu fretin
ce sont ceux qui veillent au grain
Mais ils ne voient pas les étoiles
parce qu’ils ne lèvent pas les yeux
ceux qui croient voir à qui mieux mieux
et qui n’osent pas crier gare
Pensez aux borgnes sans vergogne
qui pleurent d’un oeil mélancolique
en se plaignant des moustiques
des éléphants de la colique
Pensez à tous ceux qui regardent
en ouvrant des yeux comme des ventres
et qui ne voient pas qu’ils sont laids
qu’ils sont trop gros ou maigrelets
qu’ils sont enfin ce qu’ils sont
Pensez à ceux qui voient la nuit
et qui se battent à coup de cauchemars
contre scrupules et remords
Pensez à ceux qui jours et nuits
voient peut-être la mort en face
Pensez à ceux qui se voient
et savent que c’est la dernière fois

(Philippe Soupault)

 

Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE COEUR BRISÉ (John Donne)

Posted by arbrealettres sur 17 mars 2018



    

LE COEUR BRISÉ

Il est fol a lier, qui dit
Être amoureux depuis une heure :
Non que l’amour si tôt se meure,
Mais peut en moins de temps dévorer plus de dix.
Qui me croira quand je proteste
Que depuis un an j’ai la peste?
Qui ne rirait de moi si j’allais déclarer
Que j’ai vu poire à poudre au long d’un jour brûler?

Ah! c’est peu de chose qu’un coeur
Quand aux mains d’Amour il se trouve :
Tout autre mal que l’on éprouve,
Ne prenant que sa part, laisse aux autres la leur.
Lui ne vient point, mais nous arrache,
Nous avale, et jamais ne mâche;
Il fauche rangs entiers, comme un train de boulets,
Et nos coeurs sont fretin pour ce tyran brochet.

Sinon, qu’est mon coeur devenu
Le jour où je t’ai rencontrée?
J’en avais un à mon entrée,
Mais lorsque je sortis je n’en possédais plus.
S’il s’était mis chez toi, je gage
Qu’il eût au tien appris l’usage
D’un peu plus de pitié pour moi; c’est donc, hélas,
Que comme verre Amour d’un seul coup le brisa.

Rien pourtant ne s’anéantit,
Et le vide absolu n’existe;
Je crois donc qu’en mon sein subsistent
Encor tous ces morceaux, bien qu’ils ne soient unis.
Comme on voit aux glaces brisées
Cent images rapetissées,
Mon coeur peut, en lambeaux, désirer, adorer,
Mais après tel amour il ne peut plus aimer.

***

THE BROKEN HEART

He is Starke mad, who ever sayes,
That he hath beene in love an honre,
Yet not that love so soone decayes,
But that it can tenne in Jesse space devour;
Who will beleeve mee, if I sweare
That I have had the plague a yeare 1
Who would not laugh at mee, if I should say,
I saw a flaske of powder burne a day?

Ah, what a trifle is a heart,
If once into loves hands it come !
All other griefes allow a part
To other griefes, and aske themselves but some
They come to us, but us Love draws,
Hee swallows us, and never chawes:
By him, as by chain’d shot, whole rankes doe dye,
He is the tyran Pike, our hearts the Frye.

If ’twere not so, what did become
Of my heart, when I first saw thee ?
I brought a heart into the roome,
But from the roome, I carried none with mee:
If it had gone to thee, I know
Mine would have taught thine heart to show
More pitty unto mee: but Love, alas,
At one first blow did shiver it as glasse.

Yet nothing can to nothing fall,
Nor any place be empty quite,
Therefore I thinke my breast hath all
Those peeces still, though they be not unite;
And now as broken glasses show
A hundred lesser faces, so
My ragges of heart can like, wish, and adore,
But after one such love, can love no more.

(John Donne)

 

Recueil: Poèmes
Traduction: J.Fuzier et Y. Denis
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

On tire les volets pour la nuit (Jean-Pierre Chambon)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2018




    
On tire les volets pour la nuit
encore une journée enfuie
déjà emportée dissoute dans le fleuve du temps
tout un menu fretin d’événements insignifiants
d’émotions minuscules

(Jean-Pierre Chambon)

 

Recueil: Tout-venant
Traduction:
Editions: Héros-Limite

Posted in méditations, poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Frères aveugles (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 12 octobre 2017




    
Frères aveugles

Pensez à tous ceux qui voient
vous tous qui ne voyez pas
où vont-ils se laissez conduire
ceux qui regardent leur bout de nez
par le petit bout d’une lorgnette

Pensez aussi à ceux qui louchent
à ceux qui toujours louchent vers l’or
vers la mer leur pied ou la mort

à ceux qui trébuchent chaque matin
au pied du mur au pied d’un lit
en pensant sans cesse au lendemain
à l’avenir peut-être à la lune au destin
à tout le menu fretin
ce sont ceux qui veillent au grain

Mais ils ne voient pas les étoiles
parce qu’ils ne lèvent pas les yeux
ceux qui croient voir à qui mieux mieux
et qui n’osent pas crier gare

Pensez aux borgnes sans vergogne
qui pleurent d’un œil mélancolique
en se plaignant des moustiques

Pensez à tous ceux qui regardent
en ouvrant des yeux comme des ventres
et qui ne voient pas qu’ils sont laids
qu’ils sont trop gros ou maigrelets
qu’ils sont enfin ce qu’ils sont

Pensez à ceux qui voient la nuit
et qui se battent à coups de cauchemars
contre scrupules et remords

Pensez à ceux qui jours et nuits
voient peut-être la mort en face

Pensez à ceux qui se voient
et savent que c’est la dernière fois

(Philippe Soupault)

 

 

Recueil: Georgia, Épitaphes, Chansons
Editions: Gallimard

Posted in méditations, poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR (Jean de la Fontaine)

Posted by arbrealettres sur 9 août 2017



 

LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.

Un Carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
« Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière. »
Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière :
« Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée ;
Laissez-moi Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achètera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi ; rien qui vaille.
– Rien qui vaille ? Eh bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson, mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire. »

Un Tien vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

(Jean de la Fontaine)

Illustration: Marc Chagall

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 9 Comments »