LE COEUR BRISÉ
Il est fol a lier, qui dit
Être amoureux depuis une heure :
Non que l’amour si tôt se meure,
Mais peut en moins de temps dévorer plus de dix.
Qui me croira quand je proteste
Que depuis un an j’ai la peste?
Qui ne rirait de moi si j’allais déclarer
Que j’ai vu poire à poudre au long d’un jour brûler?
Ah! c’est peu de chose qu’un coeur
Quand aux mains d’Amour il se trouve :
Tout autre mal que l’on éprouve,
Ne prenant que sa part, laisse aux autres la leur.
Lui ne vient point, mais nous arrache,
Nous avale, et jamais ne mâche;
Il fauche rangs entiers, comme un train de boulets,
Et nos coeurs sont fretin pour ce tyran brochet.
Sinon, qu’est mon coeur devenu
Le jour où je t’ai rencontrée?
J’en avais un à mon entrée,
Mais lorsque je sortis je n’en possédais plus.
S’il s’était mis chez toi, je gage
Qu’il eût au tien appris l’usage
D’un peu plus de pitié pour moi; c’est donc, hélas,
Que comme verre Amour d’un seul coup le brisa.
Rien pourtant ne s’anéantit,
Et le vide absolu n’existe;
Je crois donc qu’en mon sein subsistent
Encor tous ces morceaux, bien qu’ils ne soient unis.
Comme on voit aux glaces brisées
Cent images rapetissées,
Mon coeur peut, en lambeaux, désirer, adorer,
Mais après tel amour il ne peut plus aimer.
***
THE BROKEN HEART
He is Starke mad, who ever sayes,
That he hath beene in love an honre,
Yet not that love so soone decayes,
But that it can tenne in Jesse space devour;
Who will beleeve mee, if I sweare
That I have had the plague a yeare 1
Who would not laugh at mee, if I should say,
I saw a flaske of powder burne a day?
Ah, what a trifle is a heart,
If once into loves hands it come !
All other griefes allow a part
To other griefes, and aske themselves but some
They come to us, but us Love draws,
Hee swallows us, and never chawes:
By him, as by chain’d shot, whole rankes doe dye,
He is the tyran Pike, our hearts the Frye.
If ’twere not so, what did become
Of my heart, when I first saw thee ?
I brought a heart into the roome,
But from the roome, I carried none with mee:
If it had gone to thee, I know
Mine would have taught thine heart to show
More pitty unto mee: but Love, alas,
At one first blow did shiver it as glasse.
Yet nothing can to nothing fall,
Nor any place be empty quite,
Therefore I thinke my breast hath all
Those peeces still, though they be not unite;
And now as broken glasses show
A hundred lesser faces, so
My ragges of heart can like, wish, and adore,
But after one such love, can love no more.
(John Donne)