JE SAIS
Je sais
Le coeur qui bat trop fort
et le plaisir des dieux à embrasser
les corps des diables amoureux
L’irrésistible attrait du désir interdit
et les peaux affolées
dans les replis du lit
La sauvage emmêlée les appétits de fauve
l’appel et le rejet les secrets de l’alcôve
Les amants séparés
par la distance et par les heures
les secondes d’éternité crispées sur la douleur
Les impatiences extrêmes les rendez-vous manqués
les taxis qui se traînent quand le corps est pressé
Je sais le feu aux joues
les yeux de braise, les faims de loup
les baisers dans le cou le vent qui rend les amant fous
Je sais
Les aveux suspendus à la bouche cousue
l’incendie des nuits blanches la retenue qui flanche
La rivière des souhaits sous le pont des soupirs
et le poids d’un sourire sur l’arche des regrets
Je sais
Je sais le peu de gratitude
le poison de l’ennui le désert de la solitude
et le froid qui détruit
La passion dans l’impasse
le mot blessant qui chasse le mot doux
qui retient le regard qui s’éteint
les «je t’aime», «je te hais»
le mal, le bien que l’on s’est faits
sans même l’avoir jamais cherché je sais l’aube désabusée
Je sais les mots de braise aux lèvres qui se taisent
et la peur qui nous hante et mes larmes brûlantes
Les appels au secours les signaux de détresse
désespérant d’amour et le vide qui oppresse
Je sais
le geste déplacé
tous les actes manqués
les mots qui dépassent la pensée
et les regards estomaqués
L’innocence des beaux jours les promesses oubliées
les serments pour toujours perdus à tout jamais
Je sais le feu qui passe et le spleen qui revient
le bras qui nous enlace et l’angoisse qui étreint
Mais je sais
Je sais les chagrins qui s’envolent au retour du printemps
et les humeurs frivoles sous le souffle du vent
Les frissons du désir et le temps qui s’étire
comme un chat langoureux comme un homme amoureux
(Jacques Higelin)
Editions: Pauvert