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GRANDE VOIE (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 15 juin 2024



Illustration: Marie-Dominique Kessler
    
GRANDE VOIE

Aujourd’hui sera,
ou plutôt est déjà
à la première personne,
sur la ligne de crête qui tient
par chance et prophétie.

Ainsi
je me lance,
démineur des pesanteurs grégaires,
crocheteur des heures condamnées,
voyant des temps assourdis,

je me lance
avec au fond des yeux
une once de ce firmament
tissé d’or et de bleu :

trésor qui rétablit le contact,
trésor d’être, et d’être là
à l’instinct et coup de foudre,
quand l’inconnu cesse soudain
de se croire funambule.

Ainsi
je me lance,
découvrant que l’abîme est à gravir,
alors que c’est en altitude
que ça creuse profond,
plus à vif,

comme dans les mines de Sar-e-Sang
où le lapis-lazuli jadis
se déterrait à mains nues…

J’ai encore cette pierre d’azur en tête,

mais ici, résolument ici, maintenant,
même cantonné, immobile,
rassemblé os et songe,
rassemblé sueur et sang,
rassemblé coeur et courage,

je rapatrie mes ermitages,
rameute mes mantras,
dévide mes visions,

j’ouvre à contre-peur
la grande voie talismanique.

(André Velter)

Recueil: Séduire l’Univers
Editions: Gallimard

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L’embarcadère (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2023




    
L’embarcadère

Le désir est pareil à cette porte,
Du temps des surréalistes au 54 rue du Château,

À la fois ouverte et fermée,

Pour les départs à tous les vents
Et le refuge des nuits de magie claire.

*

La poésie aussi est cet impossible même
Qui tient les deux côtés de la frontière,

Sur les pentes d’on ne sait quel exil,

Quand le tocsin qui bat le sang
Éveille un chant de mort où renaître.

*

Mais il n’y a pas d’illusion à se faire,
L’insolente issue de série noire

A retrouvé ses garde-fous domestiques,

Chambranle, serrure, verrou,
Tout l’agencement de la syntaxe grégaire.

*

Le génie du lieu n’a pas laissé de gages,
Juste un éclair de légende libertaire

Et guère plus de réalité jetée hors champ

Que quelques mutineries de corps, d’esprit,
Voire de cadavres exquis.

*

L’embarcadère perdure pourtant,
Qui ravive l’insomnie du dernier navire venu

Au large de Tossa de Mar,

Vaisseau fantôme caréné d’or et d’aube
Dans les yeux fauves d’Ava Gardner.

*

C’est qu’une splendeur fatale
Mène les amours et les âmes

Jusqu’à revenir de tout

Sans qu’il y ait à changer d’impatience
Ni de sens ascendant.

*

Nous avançons à l’orient de nous,
Avec la force de conquérants inutiles,

Décidés comme jamais

À découvrir les traces qui tout effacent
Autant de ce côté-ci que de l’autre.

(André Velter)

Recueil: Trafiquer dans l’infini
Editions: Gallimard

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Tout transmuer (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2023



Illustration: Henri Matisse 
    
Tout transmuer

Je ne dirai pas que j’entrevois
Il est encore trop d’orage dans la source
Trop de limon dans la conscience claire

Mais un écho qui s’accorde
Aux racines du corps et du ciel
Ouvre une voie inexplorée

La voie d’Icare me semble-t-il
Après la chute et le linceul des mers
Quand il ne reste de l’envolée qu’un peu de soleil noir

Et cette apocalypse
Qui va tout transmuer de l’infernale fatigue
En nous sédimentée

Depuis les temps vertébrés et grégaires

(André Velter)

Recueil: Trafiquer dans l’infini
Editions: Gallimard

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