Mieux que les ours et la tigresse,
La chatte grise, un gris d’iris,
La chouette devineresse,
La guenon, plurent à mon fils
Mieux que les ours et la tigresse.
« Je les ferai rire à mon tour.
Allons leur dire bon voyage;
Elles s’en vont au petit jour.
Rien qu’en leur demandant leur âge
Je les ferai rire à mon tour. »
Mon amour, en sa préférence
Aimait prolonger les plaisirs.
Elle reconnut son enfance
En cet enfant de nos désirs,
Notre amour et sa préférence.
Ces bêtes n’attiraient que nous,
Chacun s’en allait vers les cages
Où rampe et tourne le courroux
Des fauves grondant leur orage.
Ces bêtes n’attiraient que nous.
De la lune, les eaux laiteuses
Baignaient le campement forain.
Curieux, dompteurs et jongleuses,
Les acrobates et les nains
Se mouvaient en cette eau laiteuse.
Alors, devant les animaux
Qu’il voulut revoir dans leur cage,
Mon fils agita son chapeau,
Les taquina jusqu’à la rage.
Il taquina ces animaux.
Le feu d’une lampe à pétrole,
Troublé par un souffle de vent,
Projetait autant d’ombres molles
Que de lueurs en se mouvant,
Et cette flamme de pétrole
Tremblait sur de jeunes amants,
Baiser premier, seul baiser rare
Qu’interrompit le jeu dément
De mon fils et ses cris barbares.
Ce jeu fit trembler les amants.
« Enfant, ces bêtes sont savantes
Et, savantes, peuvent punir.
Ton jeu méchant les mécontente,
Prends garde, dis je, il faut partir.
Enfant, ces bêtes sont savantes. »
Aime-moi, non comme les nourrices rêveuses
Mes poumons tombants, ni comme le cyprès
Dans son âge l’argile de la jeune fille,
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi non comme les filles du paradis
Leurs amants aériens, ni comme la sirène
Ses amants de sel dans l’océan.
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi, non comme le pigeon ébouriffé
Les cimes des arbres, ni comme la légion
Des mouettes la lèvre des vagues.
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi comme la taupe aime son obscurité
Et la tigresse le cerf craintif;
Amour et peur soient tes deux amours!
Aime-moi et soulève ton masque!
Je regrette le temps où nos deux cœurs jumeaux
Se querellaient. Un rien vous mettait en colère.
Vos caprices, changeants comme un spectre solaire,
Boudaient, criaient, mordaient ainsi que des marmots.
Aujourd’hui, dans vos yeux plus durs que des émaux,
L’orgueil calme fleurit tel qu’une fleur polaire.
Indifférente à tout, votre humeur me tolère
Et ne se cabre plus sous l’éperon des mots.
Ah ! qu’un éclair de rage en tes regards s’allume!
Fâches-toi ! frappe-moi ! prends mon front pour enclume !
Déchire-moi le cœur en lambeaux ! Manges-en!
Réveille-toi, terrible, en tigresse des jungles!
Mais ne me jette pas, avec l’air méprisant.
Ce sourire poli, poli comme tes ongles.
En vain l’on a obtenu une naissance humaine:
Nombreux sont ceux qui ont droit sur ce corps !
Le père et la mère disent : « C’est notre enfant »,
C’est pour leur propre avantage qu’ils l’ont nourri.
L’épouse dit : « C’est mon mari ! »
Et, telle une tigresse, elle s’apprête à le dévorer…
Femme et enfants le fixent avidement,
Comme des chacals, la gueule ouverte!
Corbeaux et vautours attendent sa mort,
Cochons et chiens guettent son cadavre…
Le feu dit : « C’est moi qui dévorerai son corps »,
L’eau dit : « C’est moi qui éteindrai le feu! »
La terre dit : « C’est à moi qu’il reviendra »,
Le vent dit : « C’est moi qui disperserai ses cendres… »
Cette maison que tu appelles ta maison, pauvre sot,
C’est l’étau qui te serre à la gorge!
Tu as considéré ce corps comme tien,
Et tu t’es égaré dans l’attachement aux biens sensibles,
O insensé!
Nombreux sont les ayants droit de ce corps,
toute ta vie, tu en pâtis,
Et tu ne reprends pas tes esprits, fou que tu es,
et tu cries : « A moi, à moi ! »
Comme hier, vous avez les souplesses étranges
Des tigresses et des jaguars,
Vos yeux dardent toujours sous leurs ombreuses franges
L’or acéré de leurs regards.
Vos mains ont, comme hier, sous leurs teintes d’aurores
Leur inexplicable vigueur;
Elles trouvent encor sur les touches sonores
Des accords qui frôlent le coeur.
Comme hier, vous vivez dans les fécondes fièvres
Et dans les rêves exaltés,
Les mots étincelants s’échappent de vos lèvres,
Echos des intimes clartés.
Trop heureuse en ce monde et trop bien partagée,
Idéal et charnel pouvoir,
Vous avez tout, et vous êtes découragée,
Comme un ciel d’automne, le soir.
*
Ne rêvez pas d’accroître et de parfaire encore
Les dons que vous a faits le ciel.
Ne changez pas l’attrait suprême, qui s’ignore,
Pour un moindre, artificiel.
Il faut que la beauté, vivante, écrite ou peinte
N’ait rien des soucis du chercheur.
Et si la rose avait à composer sa teinte
Elle y perdrait charme et fraîcheur.
Dites-vous, pour chasser la tristesse rebelle,
En ornant de fleurs vos cheveux,
Que, sans peine pour vous, ceux qui vous trouvent belle
Sauront le dire à nos neveux.
Quelquefois dans la nuit une petite patte
Pose tout en douceur ses coussinets-velours
Sur ma joue endormie. Une langue qui gratte
Me rape le menton avec beaucoup d’amour.
Un petit corps tout chaud se love dans mon cou
Ronronnant tant et plus pour que je le caresse.
Un léger corps tout chaud, un tendre corps tout doux
Un tiède corps de chat qui s’appelle Tigresse.
Si je la gronde un peu, presque rien, rien du tout,
Elle feint la colère, accepte de partir,
Et puis elle s’endort et son joli roucou
S’éteint decrescendo avec de grands soupirs.