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Emparons-nous de ce feu (Arthur Teboul)

Posted by arbrealettres sur 29 octobre 2023




    
Pensez à un nom

Laissez un nom commun vous venir à l’esprit.
Écrivez-le.
Qu’il vous plaise ou non.
Qu’il vous trahisse ou non.
Écrivez-le.

Il est presque certain qu’un adjectif vous passera alors par la tête
– pour qualifier ce nom arrivé par hasard.
Cet adjectif-là, écrivez-le aussi.
À la suite du nom. Ne le refusez pas. Cette place lui revient.
Il fait fi de toute cohérence, de toute grâce ?
Il est grotesque, banal ? Qu’importe !
Écrivez-le.

Tournevis déchu

De cette association inattendue,
entre ce nom venu par inadvertance et cet adjectif non désiré,
naît une image nouvelle, inconnue,
un trésor qui réveille la part magique des mots et notre part de mystère.
Cette part de soi-même inconnue à soi-même.

De ce rapprochement fortuit jaillissent des étincelles
qui nous révèlent une histoire du monde
oubliée, fabuleuse, archaïque et ultramoderne.
Le grain de sable entre dans la machine de l’habitude,
court-circuite sa routine,
et provoque une lumière accidentelle.

Passé, présent, futur se télescopent en un éclair
qui illumine un instant l’envers du monde.

Il y a quelque chose de plus.
Si on ne se laisse pas intimider
par cette langue de l’enfance et de l’inconnu,
le réel s’offre dans une profondeur nouvelle.
Il s’élargit.
En le nommant autrement, on le fait advenir autrement.
On s’autorise un rêve, une vision.

Il suffit de le dire :

Passants minimalistes
Ça y est, ils existent.
Regardons-les traverser.

Lune abstraite
Voilà qu’elle nous éclaire !

Cet exercice en est un parmi d’autres
pour s’accoutumer à la langue frontalière de la poésie.
Pour rendre à notre langage, en le détournant de son usage quotidien, sa vitalité.
Pour le rendre de nouveau fidèle à la vie, l’invraisemblable.

Quand on dispose les mots de tous les jours dans un ordre déconcertant,
on résiste ordinairement à l’emploi purement utilitaire de la parole.
À l’emploi purement pratique de nos vies.
La poésie est un contre-pouvoir.
Ce n’est pas anodin qu’elle soit un secret si bien gardé.

Emparons-nous de ce feu.

(Arthur Teboul)

Recueil: Le Déversoir Poèmes minute
Editions: Seghers

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J’ai dû rassembler ma propre immensité… (François Jacqmin)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2021



    

J’ai dû rassembler ma propre immensité…

J’ai dû rassembler ma propre immensité
pour tenir tête à la neige.
Sa pâleur
ressemblait au système du néant
vu à travers le sommeil.
Jusqu’ici
j’avais vécu dans une encoignure ;
je me sentais peu fondé à dire « il n’y a rien ».
La voyant si blanche, je voulais
être digne de son enchantement sans emploi.

(François Jacqmin)

Découvert ici: https://schabrieres.wordpress.com/

Recueil: Le Livre de la neige
Traduction:
Editions: La Différence

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Demande d’emploi (Jacques Rigaut)

Posted by arbrealettres sur 18 septembre 2018



Demande d’emploi

Il y a des gens qui font de l’argent,
d’autres de la neurasthénie,
d’autres des enfants.
Il y a ceux qui font de l’esprit.
Il y a ceux qui font l’amour,
ceux qui font pitié.
Depuis le temps que je cherche à faire quelque chose!
Il n’y a rien à faire: il n’y a rien à faire.

(Jacques Rigaut)


Illustration: Gilbert Garcin

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Emploi (Yvon Le Men)

Posted by arbrealettres sur 28 juin 2018




Illustration: ArbreaPhotos
    
Emploi
avant j’avais un métier
maintenant j’ai un emploi
m’a dit un jour
un paludier
dont le sel brillait encore en blanc dans ses yeux
un employé qui ploie
comme le roseau
contre les mauvaises nouvelles du chômage

(Yvon Le Men)

Découvert ici: http://laboucheaoreilles.wordpress.com/

Recueil: En fin de droits
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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Emploi du temps (Robert Momeux)

Posted by arbrealettres sur 28 juin 2018



Emploi du temps

Le vent pointu
Secoue les démons de la fête
Il me reste très peu de temps
Pour reconnaître enfin la nuit

Je ne sais pas si je vais vivre
Assez pour suivre ces flocons
Oui s’entêtent à ne pas fondre

Je ne sais pas si ce sang fluide
Oui fait comme un rempart entre les jours
Où rien ne se passe et les arcs-en-ciel de gaieté
Fera assez de bruit aux tempes des années

Mais il faudra quand même se lever
Et pousser cette porte
Oui donne sur les pavés du soleil
Et chasser les lièvres de l’aube
Avant que les démons de l’intérieur donnent l’alarme

Il faudra bien faire toilette
Pour les amis qui vont venir
Ensemble nous nous posterons près du sablier.

(Robert Momeux)

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J’ai toujours aimé me perdre (Alain Jouffroy)

Posted by arbrealettres sur 22 juin 2018




    
J’ai toujours aimé me perdre, dans les villes ou ailleurs,
ce qu’on appelle «perdre son temps ».

L’emploi de la vie n’est pas un emploi du temps,
mais des espaces que l’on découvre en y avançant au hasard.

On respire enfin, hors tout itinéraire.
On pourrait appeler la vie l’emploi de la respiration.

Jusqu’à l’expiration, magnifique, finale.

(Alain Jouffroy)

 

Recueil: Être-Avec
Traduction:
Editions: De la Différence

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LES DEUX MULETS (Jean de la Fontaine)

Posted by arbrealettres sur 9 août 2017



 

LES DEUX MULETS

Deux Mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la Gabelle.
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d’un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette :
Quand l’ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l’argent,
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l’arrête.
Le Mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups : il gémit, il soupire.
« Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j’y tombe, et je péris.
– Ami, lui dit son camarade,
Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut Emploi :
Si tu n’avais servi qu’un Meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade. »

(Jean de la Fontaine)

Illustration: Marc Chagall

 

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Dans l’air (Aïcha Arnaout)

Posted by arbrealettres sur 28 avril 2017



dans l’air sans
lieu ni emploi
les mots absents
des choses
se rapprochent
de la voix

(Aïcha Arnaout)

 

Recueil: L’inventaire des choses (Anthologie)
Traduction: Aïcha Arnaout
Editions: Action Poétique

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SOLITUDE (Tomas Tranströmer)

Posted by arbrealettres sur 17 Mai 2016


SOLITUDE

I
C’est ici que je faillis périr un soir de février.
La voiture sur le verglas glissait
du mauvais côté de la route. Les voitures en face –
leurs phares – approchaient.

Mon nom, mes filles, mon emploi
se détachèrent et restèrent loin derrière à l’arrêt,
toujours plus loin. J’étais anonyme
comme un garçon cerné par l’ennemi dans la cour de l’école.

En face, le trafic avait des feux puissants.
Ils m’éclairaient tandis que je braquai et braquai
dans la transparence de l’effroi suintant comme du blanc d’oeuf.
Les secondes s’allongèrent – on y faisait sa place –
et arrivèrent à la taille des bâtiments de l’hôpital.
On aurait presque pu s’arrêter
et souffler un moment
juste avant d’aller se faire broyer.

Mais j’eus prise soudain: un grain de sable salvateur
ou un coup de vent miraculeux. La voiture redémarra
et rampa à la hâte en travers de la route.
Un pilier jaillit et se brisa un bruit strident – et
s’envola dans l’ombre.

Puis le silence se fit. Je restai sous le joug
et vis quelqu’un avancer dans la tourmente
pour voir où j’en étais.

II
J’ai longtemps parcouru
les campagnes glacées de l’Ostergötland.
Et n’y ai vu âme qui vive.

Dans d’autres parties du monde
ils sont là à naître, à vivre, à mourir
dans une cohue permanente.

Toujours être visible – vivre
dans un essaim de regards –
doit donner une expression particulière.
Le visage recouvert d’argile.
Les murmures montent et redescendent
tandis qu’ils se partagent
le ciel, les ombres, les grains de sable.

Je dois être seul
dix minutes le matin
et dix minutes le soir.
– Sans aucun programme.

Tout le monde fait la queue chez tout le monde.

Certains.

Soi.

(Tomas Tranströmer)

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