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Poésie

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Les présences sont là, mais ce qui manque ce sont nos yeux (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 29 octobre 2023




    
Les présences sont là,
mais ce qui manque
ce sont nos yeux.

Qui la voit cette petite fougère
prise dans une branche épineuse ?
Le vent la connaît, le vent lui parle.

Je ne pense pas que la nature connaisse la solitude terrible
dans laquelle nous pouvons nous trouver.
Je suis parfois soufflé par la conversation incessante du pré
qui fait face à la fenêtre devant laquelle j’écris.
Je regarde, je n’entends rien, la fenêtre est fermée,
et quand bien même serait-elle ouverte,
aucune rumeur ne me parviendrait,
mais je vois très bien l’agitation des brins.
Ils sont comme huilés par la lumière.

Si j’avais le talent de regarder à fond
— un talent qui me manque trop souvent —,
je verrais, parce que je le sens,
que chaque brin est différent du brin voisin.
Ils sont sans arrêt pris dans un événement.
Dans l’événement de la brise, de la pluie,
dans l’événement des lumières qui vont, qui viennent,
qui s’affairent on ne sait trop à quoi,
du jour qui s’en va, du froid qui remonte de la terre.

Est-ce qu’il y aura encore un autre jour ?
Le pré est rempli de mille questions
qui sont sans impatience d’une réponse.
Quand j’écris avec la vision de ce pré,
je suis devant le plus grand concurrent qui soit.
Je suis devant un maître écrivain, un des plus grands poètes,
qui n’a pas de nom, pas de visage, mais qui travaille jour et nuit.

Il est possible que, par l’attention aux choses
menues, très simples, très pauvres,
je trouve peut-être ma place dans ce monde.
Il y a quelque chose de la suave tyrannie des techniques
qui commence à être défaite dans un instant de contemplation pure
qui ne demande rien, qui ne cherche rien, même pas une page d’écriture.

La plupart du temps, je regarde, je ne note pas, je n’écris pas.
La contemplation est ce qui menace le plus,
et de manière très drôle, la technique hyperpuissante.
Et pour une raison très simple,
c’est que les techniques nous facilitent la vie apparemment.
Mais c’est un dogme d’aujourd’hui qu’on ait la vie facilitée.

Qui a dit que la vie devait être facile et pratique ?

(Christian Bobin)

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Au fils du nomade (Hawad)

Posted by arbrealettres sur 15 novembre 2020



    

Au fils du nomade

Chausse tes sandales
et foule le sable
qu’aucun esclave n’a piétiné

Éveille ton âme
et goûte les sources
qu’aucun papillon n’a frôlées

Déploie tes pensées
vers les voies lactées
dont aucun fou n’a osé rêver

Respire le parfum des fleurs
qu’aucune abeille n’a courtisées

Écarte-toi des écoles et des dogmes
Les mystères du silence
que le vent démêle dans tes oreilles
te suffisent

Éloigne-toi des marchés et des hommes
et imagine la foire des étoiles
où Orion tend son épée
où sourient les Pléiades
autour des flammes de la Lune
où pas un Phénicien n’a laissé ses traces

Plante ta tente dans les horizons
où aucune autruche n’a songé à cacher ses oeufs

Si tu veux te retrouver libre
comme un faucon qui plane dans les cieux
l’existence et le néant suspendus
à ses ailes
la vie la mort

(Hawad)

Caravane de la soif, traduit de la tamajadht des Touaregs par l’auteur et Hélène Claudot-Hawad, Édisud, 1985.

Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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Un seul dogme (Pierre Oster)

Posted by arbrealettres sur 9 novembre 2019



Illustration: Fractale
    
Un seul dogme : l’univers ;
une seule théologie : cette tremblante beauté…

(Pierre Oster)

 

Recueil: Paysage du Tout
Traduction:
Editions: Gallimard

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La voix du miroir (César Vallejo)

Posted by arbrealettres sur 18 août 2019



Illustration: Gilbert Garcin
    
La voix du miroir

Ainsi passe la vie, comme un bizarre mirage.
La rose azur qui enfante et donne le jour au chardon!
À côté du dogme du fardeau
fatal, le sophisme du Bien et de la Raison!

On a saisi, au hasard, ce que la main a frôlé;
les parfums se sont envolés, et parmi eux on a senti
la moisissure qui à mi-chemin a poussé
sur le pommier sec de la morte Illusion.

Ainsi passe la vie,
avec les cantiques trompeurs d’une bacchante fanée.
J’avance tout effaré, en avant… en avant,
faisant gronder ma marche funèbre.

Avancent au pied de brahmaniques éléphants royaux,
au son du sordide bourdonnement d’une ardeur mercurielle,
des amants qui lèvent leurs coupes sculptées dans la roche,
et des crépuscules oubliés, une croix sur la bouche.

Ainsi passe la vie, vaste orchestre de Sphinx
qui jettent dans le Vide leur marche funèbre.

(César Vallejo)

 

Recueil: Poésie complète 1919-1937
Traduction: Nicole Réda-Euvremer
Editions: Flammarion

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APPROCHES (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 30 août 2018



 

Alberto Donaire doza-ana

APPROCHES

La poésie n’est pas une manière d’embellir l’existence.
Elle répugne à ce qui est mièvre, ou de l’ordre de la joliesse et de l’ornement.
Elle n’est pas simple divertissement, bien qu’elle concerne
aussi le « Jeu » ; mais là où les mots « jouent » à bousculer nos ancrages.
Là où « jouer » inverse ou renverse l’apparence, la fait pivoter.

*

Il faut au poète une fenêtre sur l’inconnu, un espace que ne gouverne
aucune structure rigide, aucun dogme.
Un regard qui embrasse de vastes et multiples horizons.

*

Définir la poésie est hors de question. Avec sa charge de réel et d’irréel,
son poids de rêve et de quotidien, celle-ci nous devancera toujours.

*

À la question : « Pourquoi écrivez-vous ? »,
Saint-John Perse répond : « Pour mieux vivre. »
C’est ainsi que je le ressens. La poésie multiplie nos chemins ;
nous donne à voir, à respirer, à espérer. Nous offre à la fois
nudité, profondeur et largesse.

(Andrée Chedid)

Illustration: Alberto Donaire

 

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Je n’ai ni feu ni loi ni dogme (Serge Sautreau)

Posted by arbrealettres sur 28 août 2016



Je n’ai ni feu ni loi ni dogme
Je suis seulement cette vieille douleur
qui hurle par les yeux

(Serge Sautreau)

Illustration: Jean-Claude Apert

 

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