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Posts Tagged ‘bâtard’

LE MONT SAINT-MICHEL (Roger Bevand)

Posted by arbrealettres sur 16 Mai 2023




    
LE MONT SAINT-MICHEL

C’est un gros rocher noir debout sur l’océan,
Le sombre diadème d’un Neptune géant,
L’épée d’un dieu fichée sur la grève atlantique.

C’est la flèche élevée en prière phallique,
Le menhir orgueilleux des rêveries celtiques,
Le fantasme sacré d’un vieil abbé dément.

C’est l’hommage de granit à l’archange Michel,
L’improbable totem aux gargouilles de sel,
Un vieux vaisseau-fantôme échoué sur la plage.

C’est le phare déserté tombé du fond des âges,
Un bout de paradis oublié aux rivages
Tout au creux d’une baie où la mer étincèle.

C’est l’abbatiale bâtarde, et gothique et romane,
Ses voûtes dessinées par la foi artisane,
Ses vitraux bégayant leurs lueurs marines.

C’est le cloître-jardin des orants de matines,
Les salles de la Merveille aux cheminées malouines,
Et les cryptes enterrées sous la pierre chamane.

C’est le lieu de mystère et d’indolente brume
Que le soleil oublie quand les cierges s’allument
Mais que l’on aperçoit des marches de Bretagne

Quand on chemine seul, pèlerin de hasard,
Et que soudain le Mont se donne à nos regards,
Serti comme un diamant dans sa gangue océane.

(Roger Bevand)

Recueil: Le Damier 6
Editions: France Europe

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LE CHRIST EN ALABAMA (Langston Hughes)

Posted by arbrealettres sur 23 avril 2023



 


Illustration: Prentiss Taylor
    
LE CHRIST EN ALABAMA

Le Christ est un nègre,
Noir et battu :
Ton dos à nu!

Marie est Sa mère:
Mama du Sud,
Silence et chut.

Dieu est Son père:
Maître Blanc en Son séjour
Accorde-Lui ton amour.

Très-saint bâtard
A la bouche en sang,
Nègre le Christ
Sur la croix
Du Sud.

***

CHRIST IN ALABAMA

Christ is a nigger,
Beaten and black:
Oh, bare your back!

Mary is His mother:
Mammy of the South,
Silence your mouth.

God is His father:
White Master above
Grant Him your love.

Most holy bastard
Of the bleeding mouth,
Nigger Christ
On the cross
Of the South.

(Langston Hughes)

Recueil: La panthère et le fouet
Traduction: Pascal Neveu
Editions: YPSILON

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C’EST AINSI QU’ON ÉCOUTE (Marina Tsvétaïéva)

Posted by arbrealettres sur 9 juillet 2022




    
C’EST AINSI QU’ON ÉCOUTE

Que peuvent faire le bâtard et l’aveugle
Dans un monde où chacun
A son père et des yeux ? Où passions
Et jurons traînent sur tous les remblais,
Où les larmes s’appellent rhumes de cerveau ?

Qu’ai-je à faire moi, chanteuse de métier,
Sur un fil, glace, soleil, Sibérie !
Obsessions, danses et chants sur les ponts
Moi légère, dans ce monde
de poids et de comptes ?

Qu’ai-je à faire moi — chanteur et premier-né,
Dans ce monde où l’on met les rêves en conserves,
Où le plus noir est gris… Un monde de mesure
Avec mon être — tout de démesure !

C’est ainsi qu’on écoute (l’embouchure
écoute la source).
C’est ainsi qu’on sent la fleur :
profondément — à en perdre le sens !

C’est ainsi que dans l’air, qui est bleu,
la soif est sans fond.
C’est ainsi que les enfants dans le bleu des draps
regardent dans la mémoire ;

C’est ainsi que ressent dans le sang
l’adolescent — jusqu’alors un lotus…
C’est ainsi qu’on aime l’amour :
on tombe dans le précipice.

(Marina Tsvétaïéva)

 

Recueil: Insomnie et autres poèmes
Traduction:
Editions: Gallimard

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GRAMMAIRE (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 8 avril 2020



Illustration: Philippe Geluck
    
GRAMMAIRE

Peut-être et toujours peut-être
adverbes que vous m’ennuyez
avec vos presque et presque pas
quand fleurissent les apostrophes

Est-ce vous points et virgules
qui grouillez dans les viviers
où nagent les subjonctifs
je vous empaquette vous ficelle

Soyez maudits paragraphes
pour que les prophéties s’accomplissent
bâtards honteux des grammairiens
et mauvais joueurs de syntaxe

Sucez vos impératifs
et laissez-nous dormir
une bonne fois
c’est la nuit
et la canicule

(Philippe Soupault)

 

Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset

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Il est 5 heures, Paris s’éveille (Jacques Dutronc)

Posted by arbrealettres sur 14 mars 2020



Il est 5 heures, Paris s’éveille

Je suis l’dauphin d’la place Dauphine
Et la place Blanche a mauvaise mine
Les camions sont pleins de lait
Les balayeurs sont pleins d’balais

Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille

Les travestis vont se raser
Les stripteaseuses sont rhabillées
Les traversins sont écrasés
Les amoureux sont fatigués

Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille

Le café est dans les tasses
Les cafés nettoient leurs glaces
Et sur le boulevard Montparnasse
La gare n’est plus qu’une carcasse

Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille

La tour Eiffel a froid aux pieds
L’Arc de Triomphe est ranimé
Et l’Obélisque est bien dressé
Entre la nuit et la journée

Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille

Les banlieusards sont dans les gares
A la Villette on tranche le lard
Paris by night, regagne les cars
Les boulangers font des bâtards

Il est cinq heures
Paris s’éveille
Paris s’éveille

Les journaux sont imprimés
Les ouvriers sont déprimés
Les gens se lèvent, ils sont brimés
C’est l’heure où je vais me coucher

Il est cinq heures
Paris se lève
Il est cinq heures
Je n’ai pas sommeil

(Jacques Dutronc)


Illustration

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LES BEAUX YEUX BRUNS D’UN CHIEN BÂTARD (Hwang Ji-u)

Posted by arbrealettres sur 2 juin 2018




Illustration: ArbreaPhotos
    
LES BEAUX YEUX BRUNS D’UN CHIEN BÂTARD

Un matin, en sortant de la maison, au coin de la ruelle,
j’ai rencontré par hasard un chien bâtard. Ses yeux étaient
tellement clairs et tristes, que j’ai penché la tête et ai fixé sur
lui mon regard. Ah, ce chien a aussi penché la tête et m’a
fixé du regard. Son regard est plus doux et limpide que le
ciel printanier de notre pays. Dans ses yeux innocents — la
cornée naïve — le cristallin — la rétine, je suis là, debout,
tenant une enveloppe jaune, habillé d’un imperméable de la
marque London Fog 100%. Tout y est entré : mon
corps entier, mon image entière, l’apparence extérieure de
ma vie entière. Dans la cornée — le cristallin — la rétine d’un
chien bâtard, j’ai impression d’avoir déjà rencontré une fois,
peut-être pas, mon corps entier, mon image entière, l’аpparence
extérieure de ma vie entière. Alors que j’étais dans
cette pensée incertaine, le chien bâtard est parti pour fouiller
une, poubelle. Je suis arrivé à l’arrêt de bus ; sur le poteau
électrique une annonce : La famille Jeon est en deuil. Pompes
funèbres Sion: Tel. 999-1984

(Hwang Ji-u)

 

Recueil: DE L’HIVER-DE-L’ARBRE AU PRINTEMPS-DE-L’ARBRE Cent poèmes
Traduction: Kim Bona
Editions: William Blake & co

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