Quand le silence hurle,
Se fait assourdissant
Que des sons minuscules
Se font cris de géants
Nos mots sont des compas,
Nous guident sur l’océan
Nos mots comme continents,
Il nous restera ça
Quand les nuages filent
Sans qu’on puisse les toucher
Dans le bleu tendres îles,
Impossible d’accoster
Nos mots sont des trois mâts
Naviguent dans ces nuées
Nos mots comme nos voiliers,
Il nous restera ça
Et quand le ciel pleure,
Se grise de sanglots
Que les sons, les couleurs
Se prennent dans les rouleaux
Nos mots à bouts de bras
Sont nos armes, nos flambeaux
Nos mots comme drapeaux,
Il nous restera ça
Quand les portes sont fermées,
Que l’on reste au-dehors
Quand on a beau frapper
De nos mains, de nos corps
Nos mots resteront là,
Gravés dans le décor
Nos mots comme trésor,
Il nous restera ça
Quand mes lèvres sont scellées,
que je ne sais que dire
Quand je ne sais que pleurer
quand je voudrais sourire
Mes mots glissent tous bas,
pour éviter le pire
Mes mots comme des soupirs,
il me restera ça
Quand on voudrait fixer
Chaque souvenir chaque nuit
Pour ne rien oublier
De chaque sensation
Les mots sont nos combats,
Les mots sont l’émotion
Nos mots comme chansons
Il nous restera ça
Il nous restera ça
(Luciole)
Paroliers : David Babin / Angelo Foley / Lucile Gerard
La mer au seuil de la chambre
abandonne algues et conques.
Il n’est barque qui n’accoste
aux marches d’une alcôve,
ni bateau qui ne livre ses gréement
au havre d’une épaule.
La mer dans la chambre,
son soleil dans une main,
mouille aux sables de quatre murs
À l’heure où se meurt l’écume
commence l’odyssée d’un lit,
toutes voiles déployées
sur nos marées intérieures.
Le temps est une tempête : les jours déferlent,
Les tombes profondes s’ouvrent d’une heure à l’autre,
Un courant balaie les rues et les maisons
Trop vite pour qu’on puisse y accoster.
Les villes font naufrage la nuit
Et nous sommes abandonnés, noyés dans cette aube vide.
Aucune terre n’est navigable, aucun oiseau visible.
Et sur les rivages, après la tempête gisent
Les débris du bonheur et de nos êtres passés,
Chambres et maisons mortes, coquillages étouffés.
***
THE WIND OF TIME
Time blows a tempest — how the days run high,
Deep graves are open between hour and hour,
A current sweeps the streets and houses by
Too fast to board them. Cities are wrecked by night
And we left drowning in Ihis empty dawn.
No land is seaworthy, no bird in sight.
And on the shores, after the tempes! lie
Fragments of past delight, and of pas! selves,
Dead rooms and houses, with the strangled shells.
(Kathleen Raine)
Recueil: ISIS errante Poèmes
Traduction: François Xavier Jaujard
Editions: Granit
J’ai connu beaucoup de chemins,
j’ai tracé beaucoup de sentiers,
navigué sur cent océans,
et accosté à cent rivages.
Partout j’ai vu
des caravanes de tristesse,
de fiers et mélancoliques
ivrognes à l’ombre noire
et des cuistres, dans les coulisses,
qui regardent, se taisent et se croient
savants, car ils ne boivent pas
le vin des tavernes.
Sale engeance qui va cheminant
et empeste la terre…
Et partout j’ai vu
des gens qui dansent ou qui jouent,
quand ils le peuvent, et qui labourent
leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part,
jamais ne demandent où ils sont.
Quand ils vont cheminant, ils vont
sur le dos d’une vieille mule;
ils ne connaissent point la hâte,
pas même quand c’est jour de fête.
S’il y a du vin, ils en boivent,
sinon ils boivent de l’eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui vivent,
qui travaillent, passent et rêvent,
et qui un jour comme tant d’autres
reposent sous la terre.
(Antonio Machado)
Recueil: Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre
Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé
Editions: Gallimard
Il a voulu savoir
L’orage couvait au creux de sa mémoire
Il traversait des Sibéries secrètes
où de hautes Cassandre aux yeux de neige
hantaient le seuil des plaines noires
Il entendait craquer les charpentes du monde
Le sommeil ranimait ce rameur sans visage
accostant furtif aux anses profondes
Et face aux ponts infranchissables
où basculent les ombres
pelotonné dans son buisson d’histoire
les mains sur les paupières
La lune, au fil d’un fleuve errant au ciel, navigue,
ce lent fleuve éphémère au-dessus des labours;
la lune, barque d’or, plus lente et sans fatigue,
venant du crépuscule accoste au point du jour.
J’habite au premier étage
de la première maison
de la première rue du village.
Le village est une île.
Elle n’a qu’une rue.
La rue n’a qu’une maison.
La maison n’a qu’un étage.
J’en suis l’unique habitant.
Je vis de fruits et de poissons.
D’air marin, de soleil et de pluie.
De pensées et de rêves.
Mes amis sont dispersés à travers le monde entier.
Pour nous écrire,
nous mettons des bouteilles à la mer.
J’ignore le nom de mon île.
De temps en temps,
une bouteille accoste au rivage de l’île.
De cette façon, j’apprends ce qui se passe dans le monde,
les progrès immenses atteints en tous domaines.
Les guerres et les assassinats
sont en nombre croissant.
Chacun est fier de sa guerre,
de sa victoire
et même de sa défaite.
(Rose Ausländer)
Recueil: Sans visa
Traduction: Eva Antonnikov
Editions: Héros-Limite