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Poésie

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La vie déconcerte les coins obscurs (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024



Illustration: Drew Ernst
    
La vie déconcerte les coins obscurs,
dénoue les mains vers le dehors
et relève les bouches qui tombent.

Mais la vie joue aussi à ne pas vivre.
Ainsi, de temps en temps,
allume des lampes en plein jour,
apprivoise des escaliers
et commence à n’être rien comme Dieu.
Alors, l’amour fait des clins d’oeil à la mort
et ton oreille me regarde, non m’écoute

Et parfois, dans son jeu,
la vie se déguise en plus de vie,
comme l’âme en femme ou Dieu en Dieu.

Jusqu’à ce que le songe le plus furtif
(le songe d’une pierre) la réveille.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Emparons-nous de ce feu (Arthur Teboul)

Posted by arbrealettres sur 29 octobre 2023




    
Pensez à un nom

Laissez un nom commun vous venir à l’esprit.
Écrivez-le.
Qu’il vous plaise ou non.
Qu’il vous trahisse ou non.
Écrivez-le.

Il est presque certain qu’un adjectif vous passera alors par la tête
– pour qualifier ce nom arrivé par hasard.
Cet adjectif-là, écrivez-le aussi.
À la suite du nom. Ne le refusez pas. Cette place lui revient.
Il fait fi de toute cohérence, de toute grâce ?
Il est grotesque, banal ? Qu’importe !
Écrivez-le.

Tournevis déchu

De cette association inattendue,
entre ce nom venu par inadvertance et cet adjectif non désiré,
naît une image nouvelle, inconnue,
un trésor qui réveille la part magique des mots et notre part de mystère.
Cette part de soi-même inconnue à soi-même.

De ce rapprochement fortuit jaillissent des étincelles
qui nous révèlent une histoire du monde
oubliée, fabuleuse, archaïque et ultramoderne.
Le grain de sable entre dans la machine de l’habitude,
court-circuite sa routine,
et provoque une lumière accidentelle.

Passé, présent, futur se télescopent en un éclair
qui illumine un instant l’envers du monde.

Il y a quelque chose de plus.
Si on ne se laisse pas intimider
par cette langue de l’enfance et de l’inconnu,
le réel s’offre dans une profondeur nouvelle.
Il s’élargit.
En le nommant autrement, on le fait advenir autrement.
On s’autorise un rêve, une vision.

Il suffit de le dire :

Passants minimalistes
Ça y est, ils existent.
Regardons-les traverser.

Lune abstraite
Voilà qu’elle nous éclaire !

Cet exercice en est un parmi d’autres
pour s’accoutumer à la langue frontalière de la poésie.
Pour rendre à notre langage, en le détournant de son usage quotidien, sa vitalité.
Pour le rendre de nouveau fidèle à la vie, l’invraisemblable.

Quand on dispose les mots de tous les jours dans un ordre déconcertant,
on résiste ordinairement à l’emploi purement utilitaire de la parole.
À l’emploi purement pratique de nos vies.
La poésie est un contre-pouvoir.
Ce n’est pas anodin qu’elle soit un secret si bien gardé.

Emparons-nous de ce feu.

(Arthur Teboul)

Recueil: Le Déversoir Poèmes minute
Editions: Seghers

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BESTIAIRE DE LA VAGUE VENUE ME VOIR À NICE DE LA PART DE MON AMI LE POÈTE JULES SUPERVIELLE (Claude Roy)

Posted by arbrealettres sur 26 juin 2020



Illustration
    
BESTIAIRE DE LA VAGUE VENUE ME VOIR À NICE DE LA PART DE MON AMI LE POÈTE JULES SUPERVIELLE

Une vague entre en hésitant
une vague entre des milliers
Elle entre et court dans la maison
toute légère et chuchotant
monte et descend les escaliers
d’un pas prudent plein de poissons
s’excusant d’être si mouillée
et d’un bleu si déconcertant
et d’avoir tellement à dire
qu’elle en a peut-être oublié
ce qui est le plus important
et qui l’empêche de dormir

De Montevideo à Nice
il y a tant de ciel et d’eau
tant de navires feux éteints
et tant d’épaves qui pourrissent
tant de bateaux tant de radeaux
qu’une vague y perd son latin
même en se dépêchant très fort
même en marmonnant jour et nuit
entre les lames et le vent
même en sautant par-dessus bord
des grandes cheminées de suie
qu’elle rencontre à son avant

Une vague entre en hésitant
et danse et saute autour de moi
entre la table et le fauteuil
toute confuse et me léchant
grand épagneul d’eau et de soie
qui pose sur moi son gros oeil
cherchant à faire pardonner
d’avoir oublié en chemin
ce que le poète avait dit
une grosse vague étonnée
qui lèche doucement ma main
comme elle fit à mon ami
il y a des mois des années.

(Claude Roy)

 

Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse

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Devant un labyrinthe insoluble (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 7 mars 2019



Le puzzle de nos prétendues réussites
et de nos apparentes erreurs,
semble conçu par un maniaque anonyme
qui aurait abîmé en jouant toutes les figures
et ne veut ou ne sait les recomposer,
sans permettre non plus qu’un autre le tente.

Ce gaspillage de formes,
cette confusion des choses qu’on doit et ne doit pas faire,
épuise toutes les réserves
autant que la force génératrice qui les renouvelle.

Reste une seule formule:
devant un labyrinthe insoluble
en construire un autre plus enchevêtré,
qui déconcerte le premier.

(Roberto Juarroz)

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Sagesse du matin (Jean-Louis Chrétien)

Posted by arbrealettres sur 30 janvier 2018



Illustration: David Caspar Friedrich
    
sagesse du matin ta lumière
donne aux choses déconcertées
un nom neuf qui est le vrai
tout le jour laborieusement
nous l’épelons avec bien des méprises
dans l’espoir de les tutoyer
le soir quand nos yeux se taisent
et que nos mains sans fin se cherchent
ce sont elles qui nous le murmurent

(Jean-Louis Chrétien)

 

Recueil: Joies escarpées
Traduction:
Editions: Obsidiane

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IMPRÉVU (Jean-Louis Chrétien)

Posted by arbrealettres sur 17 janvier 2018



 

Illustration: Frida Kahlo
    
IMPRÉVU

il n’y a plus un seul sol pour les pas
déconcertés les visages s’effritent
toute aile soudain se fait paille

certains questionnent les cailloux
d’autres cherchent d’anciens atlas
les enfants mendient un peu d’air

je rencontre en rêve un vieux roi
qui me conjure de l’oublier
on dit que la mer se retire

ces seuls mots brûlants qu’à peine
un murmure oserait toucher
enfin nous rafraîchiront

(Jean-Louis Chrétien)

 

Recueil: Entre Flèche et Cri
Traduction:
Editions: Obsidiane

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Les feux dans la nuit (Raymond Queneau)

Posted by arbrealettres sur 14 décembre 2017



Si les feux dans la nuit faisaient des signes certes
la peur serait un rire et l’angoisse un pardon
mais les feux dans la nuit sans cesse déconcertent
le guetteur affiné par la veille et le froid

(Raymond Queneau)

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Vraiment, vous perdez le sens ! (Jean Tardieu)

Posted by arbrealettres sur 21 octobre 2016



choix

Vraiment, vous perdez le sens !

Préférer ? Préférer ? Bon Dieu ! Pré-fé-rer ?
Qu’est-ce ce que ça veut dire ? Un pré, un
fer, une fée ? Et finir par un ré ?

Plus je répète ces syllabes, plus je
m’étonne et m’enchante, me déconcerte et
m’égare. Tantôt le mot est vide de tout
sens, tantôt il s’ouvre à tous vents.

Tantôt transparent et désert, tantôt
plein et opaque, une bulle ou une autre, tantôt
un sac magique, un chapeau d’où l’on
peut faire surgir toutes sortes de choses :
un ballon un œuf une colombe un gobelet.

Quoi ! Irais-je préférer un ballon
à un œuf, une colombe, un gobelet ?
Qui vous l’a dit ? cela n’a aucun sens.
Donc je ne préfère rien.
Je m’arrête de préférer.
J’aime mieux ne rien préférer.

(Jean Tardieu)

 

 

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La mer (Maurice Carême)

Posted by arbrealettres sur 14 mars 2016



La mer

Juste au milieu du jour,
La mer est toute ronde
Comme une belle montre
Que le soleil remonte.

Mais, le soir, elle est plate
À vous déconcerter,
Et le soleil fâché
En devient écarlate.

La nuit, c’est encore pis.
On n’en voit qu’une aiguille
Lorsque la lune brille
Sur son verre terni.

N’empêche qu’elle chante,
De jour comme de nuit,
Qu’elle est bien moins méchante
Qu’on ne me l’avait dit

Et qu’au grand vent du nord,
Elle berce les heures
Comme des barques d’or
Dans la main du Seigneur.

(Maurice Carême)

Illustration: ArbreaPhotos  

 

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