Si tu n’existais pas,
si tu étais, je ne sais pas,
un tire-bouchon tressé,
une dichotomie entre ton âme et ton corps,
des envies qui restent sur leur faim.
Si tu étais, comment dire,
quelqu’un qui s’ajuste aux limites des jours,
un soupçon,
une tentative.
Si tu n’existais pas,
si tu étais autre chose
avec les mêmes visage, voix et mains,
mais autre chose,
en ma fin de ton compte,
je te traverserais entière,
je briserais tes barrières,
j’irais de ton nord à ton sud en foulant
ta boussole
comme le naufragé qui parcourt des forêts
pour atteindre la mer
et je te peuplerais de mes bateaux,
à la proue de ton essence
j’attendrais
sans aucune hésitation ni délai
le sauvetage.
(Elvira Sastre)
Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL
Un jour qu’escorte un soupçon de soleil,
De brume et d’ondée.
Une vie qui comporte un rien d’amour
De rêve et de peine.
Aimer un peu, puis disparaître!
Vivre un peu et sans jamais savoir le pourquoi!
***
Life
A day with a splash of sunlight,
Some mist and a little rain.
A life with a dash of love-light,
Some dreams and a touch of pain.
To love a little and then to die!
To live a little and never know why!
Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne
L’amitié est un don
Gratuité absolue
Soleil par tous les temps
Sous toute latitude
C’est une fulgurance de présence
Une prairie entre les mains
Une soudure fraternelle
Sans le moindre doute
Sans le soupçon de la vipère
Une rivière paisible
Où les mots et leur gaine
Avalent la douleur de l’ami.
(Tahar Ben Jelloun)
Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard
« Beau monstre de la nuit, palpitant de ténèbres,
Vous montrez un museau humide d’outre-ciel,
Vous approchez de moi, vous me tendez la patte
Et vous la retirez comme pris d’un soupçon.
Pourtant je suis l’ami de vos gestes obscurs,
Mes yeux touchent le fond de vos sourdes fourrures.
Ne verrez-vous en moi un frère ténébreux
Dans ce monde où je suis bourgeois de l’autre monde,
Gardant par devers moi ma plus claire chanson.
Allez, je sais aussi les affres du silence
Avec mon coeur hâtif, usé de patience,
Qui frappe sans réponse aux portes de la mort.
— Mais la mort te répond par des intermittences
Quand ton coeur effrayé se cogne à la cloison,
Et tu n’es que d’un monde où l’on craint de mourir. »
Et les yeux dans les yeux, à petits reculons,
Le monstre s’éloigna dans l’ombre téméraire,
Et tout le ciel, comme à l’ordinaire, s’étoila.
(Jules Supervielle)
Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard
J’aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m’importe
Je n’ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur L’oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d’un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j’ai découvert
Dissimulées sous l’évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l’éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant « Reçois
Et la myrrhe et l’encens »
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J’ai deviné tous vos effets
Ici l’empreinte du jasmin
Par là la trace de l’oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l’essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L’enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c’est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L’amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L’été sous la charmille
Et l’hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu’au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S’offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C’est l’odeur animale
De l’humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu’ils affleurent
L’effluve du trépas
L’odeur d’un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N’emportent votre amour ou le mien
Vers d’autres cieux ou d’autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme Sur L’oreiller
(Juliette)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON