L’espoir des hommes me pénètre de pitié
Et c’est comme une rupture en moi cette pitié
Car je ne garde rien du temps
Et je n’ai pas un seul rêve
Qu’un éclatement de poussière dans mes yeux
Et je suis las de cette brume qui m’efface
Je suis fatigué de cette misère
Et j’imagine un amour que je pourrais vivre sans pleurer
J’imagine un pays où je pourrais mourir sans regret.
Tu me reproches d’effleurer ta lèvre à peine
Comme un vent caressant les feuilles en chemin
Et d’enfoncer ensuite avidement mes mains
Dans la terre vers les racines qui l’étreignent.
J’aime bien le feuillage au murmure enivrant,
Pourtant c’est la racine que je lui préfère :
Elle, qui n’a pas le baiser de la lumière,
Transmet à l’arbre son frisson en gémissant.
Ce qui se passe en nous, en nos jeux passionnés,
Certes ni toi ni moi nous ne le savons guère;
Mais je comprends que tu voudrais te dominer,
Pour ne pas me céder m’être plus étrangère.
Une force inconnue et qu’on ne peut soumettre
Nous couche tous les deux au sol et nous pénètre.
Notre amour, ce frère jumeau de la folie,
Etait un feu, c’était un immense incendie.
Et, sachant bien qu’il ne pouvait que nous détruire,
Qu’à ce maudit éclatement aucun de nous
Ne saurait échapper, comme dans la forêt
En flammes, sans aucun espoir de se sauver,
Toutes les bêtes vont périr épouvantées,
Hurlant et s’entre-déchirant, luttant à mort,
Cherchant en vain de quel côté prendre la fuite,
Alors que sur les eaux passe un courant de feu —
Nous deux, serrés l’un contre l’autre, restons là,
Ainsi que dans un conte, ne comprenant rien.
Nous avons mis le feu au bois de la sagesse
Et brûlons vifs, dans les flammes, dans la fumée.
I
Chante, étranger sur le trottoir
Ta voix n’écarte aucun volet
Au soleil blanc reste en arrêt
Chante plus fort chante plus noir
Dos au mur aveuglant
Face au fronton des façades
La note frappera la seule vitre en flammes
Aux mille éclairs vois le sourire du temps
Comme
un grand visage
qui se nomme
II
O doux éclatement
Le livre s’est ouvert
et j’ai vu du coeur qui ne ment
déborder les souvenirs de mon enfance
Comment
dis-moi comment
ce passé s’est ouvert
que tu gardais si pieusement
pour habiter ce coeur d’abondance
La bouche de blessure
avait-elle mis son secret
dans la grenade mûre
Si longtemps
si longtemps après
C’est bien ma solitude
comme une ancienne fleur
qui plus tard a germé dans ce feu
Où donc
jadis perdue
III
La parole est morte
Et le monde est venu
Et les rues sont pleines de monde
Personne ne passe la porte
Tout se nomme refus
Et les ruines s’enivrent de monde
Au fond de la chaussée
une grande fleur d’encre
qui rature la joie
L’attente folle
couleur de fuite
un souvenir géant
qui efface tout
IV
Coeur dévasté pour rire
beauté usée par les sales regards
Le triste et le gai
comme des éventails
et la blessure comme un loup
L’histoire finit
lorsqu’il n’est plus temps
V
La rue suit sa pente
Les hommes leur chemin
ou suivent les passantes
Moi seul je me souviens
Le soleil las poursuit sa route
Les fenêtres s’entrouvrent
au silence à la fraîcheur
Une grande roue tourne
et tourne grande roue
où les hommes s’usent
Une énergie rêveuse
s’en prend à la promenade
aux montées d’escaliers blonds
à ce présent qui les redécouvre
le monde s’évertue
une tenace illusion
fait mouvoir les marteaux
et conserver
la cuirasse d’acier aux lueurs familières
le lit d’où montèrent
des soupirs
et que dore un rayon ancien.
Les machines usinières
gémissent aux aurores
jusqu’à l’éclatement possible des atomes,
Une énergie rêveuse
s’en prend à la promenade
aux montées d’escaliers blonds
à ce présent qui les redécouvre
le monde s’évertue
une tenace illusion
fait mouvoir les marteaux
et conserver
la cuirasse d’acier aux lueurs familières
le lit d’où montèrent
des soupirs
et que dore un rayon ancien.
Les machines usinières
gémissent aux aurores
jusqu’à l’éclatement possible des atomes.
Rien que le sable et l’air
Et ce désir farouche
Ta bouche lourde sur ma bouche
L’empreinte bleue du sein
Dans la paume encor fraîche
Ici
L’arbre se fond
Se confond avec l’herbe
Mais l’âme dégagée
A pris de la hauteur
Soleil
Eclatement des yeux
Soleil en marche
Des mois et des années
Et cette fleur au coeur qui ne s’est pas fanée
Le dernier compagnon
Et le dernier visage
Tous ces haillons dorés qui font le paysage
Une fumée là-bas
La première douceur
(René Guy Cadou)
Recueil: Poésie la vie entière
Traduction:
Editions: Seghers