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EXIL DE LA MÉMOIRE (Joy Harjo)

Posted by arbrealettres sur 3 avril 2024




    

EXIL DE LA MÉMOIRE

Ne revenez pas,
Nous a avertis un qui sait des choses,
Vous ne ferez que déranger les morts.
Ils émergeront de la spirale de petites maisons
Alignées dans les sillons de moelle
Et parcourront la terre.
Il n’y aura pas de place dans la mémoire
Pour ce qu’ils voient
Les routes, les maisons, les magasins d’intrus
Plantés sur les prairies de sang
Où les morts se tinrent pour la dernière fois.
Et puis quoi, vous, avec vos mots
De la langue de l’ennemi,
Savez-vous tracer une route paisible
Dans la mémoire humaine ?
Et les fantômes enragés de l’histoire ?
Et puis quoi ?
[…]
Ne regardez pas en arrière.
Au catéchisme on nous a dit que la femme de Loth
Regarda en arrière et fut changée
En sel.
Sauf que sa famille ne quittait pas le Paradis.
Nous aimions nos arbres et nos eaux
Et les créatures et les terres et les cieux
De ce lieu adoré.
Ces êtres étaient nos compagnons
Alors même qu’ils nous nourrissaient,
nous protégeaient.
Si je suis changée en sel
Ce sera à cause des larmes pétrifiées
Dans les empreintes des miens
Lorsqu’ils marchaient vers l’ouest.

***

EXILE OF MEMORY

Do not return,
We were warned by one who knows things
You will only upset the dead.
They will emerge from the spiral of little houses
Lined up in the furrows of marrow
And walk the land.
There will be no place in memory
For what they see
The highways, the houses, the stores of interlopers
Perched over the blood fields
Where the dead last stood.
And then what, you with your words
In the enemy’s language,
Do you know how to make a peaceful road
Through human memory?
And what of angry ghosts of history?
Then what?
[…]
Don’t look back.
In Sunday school we were told Lot’s wife
Looked back and turned
To salt.
But her family wasn’t leaving Paradise.
We loved our trees and waters
And the creatures and earths and skies
In that beloved place.
Those beings were our companions
Even as they fed us, cared for us.
If I turn to salt
It will be of petrified tears
From the footsteps of my relatives
As they walked west.

(Joy Harjo)

Recueil: L’aube américaine
Traduction: de l’anglais (Etats Unis) par Héloïse Esquié
Editions: Globe

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LE PRINTEMPS VIENT DE NAÎTRE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023




    
LE PRINTEMPS VIENT DE NAÎTRE

1

Le printemps vient de naître
Tous nos soldats s’apprêtent.
Le roi fit avertir qu’il faut tous partir.
J’entends le bruit des armes,
L’armée marche à grand pas.
L’on bat la générale
Ne l’entendez-vous pas ? (bis).

2

Que dirons toutes ces filles
Là-haut dans leurs chambrettes ?
Diront tout en pleurant :
Où vont tous nos amants ?
Ils sont dessous les armes
Là bas dedans ces bois,
En plaine et en campagne,
Au service du roi.

(Chansons du XVIIIè)

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Moi j’irai dans la lune (René de Obaldia)

Posted by arbrealettres sur 20 juin 2021



Moi, j’irai dans la lune
Avec des petits pois,
Quelques mots de fortune
Et Blanquette, mon oie.

Nous dormirons là-haut
Un p’tit peu de guingois
Au grand pays du froid
Où l’on voit des bateaux
Retenus par le dos.

Bateaux de brise-bise
Dont les ailes sont prises
Dans de vastes banquises
Et des messieurs sans os
Remontent des phonos.

Blanquette sur mon coeur
m’avertira de l’heure :
Elle mange des pois
Tous les premiers du mois.

Elle claque du bec
Tous les minuits moins sept.
Oui, j’irai dans la lune !
J’y suis déjà allé
Une main dans la brume
M’a donné la fessée,

C’est la main de grand-mère
Morte l’année dernière.
(La main de mon Papa
Aime bien trop les draps !)

Oui, j’irai dans la lune,
Je vais recommencer.
Cette fois en cachette
En tenant mes souliers.

Pas besoin de fusée
Ni de toute une armée,
Je monte sur Blanquette
Hop ! on est arrivé.

(René de Obaldia)

Illustration: Corinne Delhaye

 

 

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NATURE MORTE AVEC DES CISAILLES (Aksinia Mihaylova)

Posted by arbrealettres sur 26 décembre 2020



Illustration: Edouard Manet
    
NATURE MORTE AVEC DES CISAILLES

Cet homme qui quitte la ville
au matin pluvieux
son cœur emballé sous un imperméable
cache une gomme dans la main.

Tour à tour il efface
la vision du chameau de Marrakech
agenouillé au bord du lit
où une lune toute mouillée
allaitait son impatience,
les sanglots des jarres le long du couloir
et l’avertissement de la machine à coudre
exilée sous l’escalier en bois.

Il descend la rue pavée
une clé brûlante dans sa poche
et il jette un dernier regard
vers la maison
où, dans leur ignorance,
dorment encore
côte à côte
la rose et les cisailles.

Mais la pluie a déjà retaillé les rideaux
des saisons et inondé la serrure.

(Aksinia Mihaylova)

 

Recueil: Le baiser du temps
Traduction:
Editions: Gallimard

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À Rosette (Louis Bouilhet)

Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2020



À Rosette

Mai sourit au firmament,
Mai, le mois des douces choses ;
Ton aveu le plus charmant
Est venu le jour des roses.

Pour témoins de ce bonheur
Nous avons pris, ô ma belle,
Le premier lilas en fleur,
Et la première hirondelle.

Le vallon sait notre amour,
Les grands bois sont nos complices ;
Les lis gardent, loin du jour,
Ton secret, dans leurs calices !

Les papillons nuancés
Et les vertes demoiselles
Portent tes serments tracés
Sur la poudre de leurs ailes.

L’étreinte des lierres frais,
Verts chaînons que rien ne brise,
Figure, dans les forêts,
L’ardeur que tu m’as promise.

Et pour qu’à notre dessein
Ton souvenir soit fidèle,
Sur les rondeurs de ton sein,
Tous les nids ont pris modèle.

Oh ! Ne trahis pas ta foi !
Regarde, mon cœur, regarde :
Tout l’azur a l’œil sur toi,
Et tout le printemps te garde !

Si tu venais à mentir,
Les muguets, aux fines branches,
Feraient tous, pour m’avertir,
Tinter leurs clochettes blanches ;

Les limaçons consternés,
Comme des prophètes mornes,
Par les chemins détournés,
Me suivraient avec des cornes ;

Et les oiseaux, dans la nuit,
Se heurtant à ma fenêtre,
Me rapporteraient le bruit
De ta rigueur prête à naître !

Hélas ! Hélas ! Les beaux jours
N’ont qu’un temps, comme les roses.
J’ai peur des grands étés lourds
Et des grands hivers moroses !

Ces mois-là n’ont rien promis,
Et tous les crimes s’y peuvent,
Sans que les blés endormis
Ou les glaçons froids s’émeuvent.

O mon ange ! ô mon trésor !
Cher bonheur que Dieu me donne,
Jure-moi d’aimer encor,
Lorsque jaunira l’automne !

Jure-moi !… ― mais tu souris
De mes alarmes trop fortes…
Viens !… les rameaux sont fleuris,
Oublions les feuilles mortes !

(Louis Bouilhet)

Illustration: Eugène Begarat 

 

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Tenez-vous prêts (Walt Whitman)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2019



Pas une tombe des assassinés pour la liberté
qui ne fasse pousser une graine pour la liberté,
qui à son tour portera des graines,
Que le vent emporte au loin et reséme,
et les pluies et les neiges nourrissent.
Pas un esprit de son enveloppe corporelle
ne peut être délié par les armes des tyrans,
Qu’il ne parcoure invisiblement la terre,
en murmurant, conseillant, avertissant.

Liberté, que d’autres désespèrent de toi –
moi, jamais je ne désespère de toi.

La maison est close? Le maitre est absent ?
Tenez-vous prêts néanmoins, ne vous lassez pas de guetter,
Il va rentrer bientôt, ses messagers arrivent tout à l’heure.

(Walt Whitman)

Illustration

 

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Les Horloges (Jules Lefèvre-Deumier)

Posted by arbrealettres sur 20 janvier 2019



 

Les Horloges

Les sabliers nous avertissent que nous devenons tous ce qui compte nos instants.
Les clepsydres nous disent qu’il n’y a pas dans ce monde une minute qui ne puisse être marquée par une larme,
et que les générations qui se succèdent ne sont rien de plus que des gouttes d’eau qui tombent.
Orateurs silencieux, les cadrans solaires nous mesurent avec l’ombre la durée de la lumière
et nous répètent sans cesse que peine et plaisir,
rien ne marche qui ne fasse partie de la mort.

Les sabliers, les clepsydres, les cadrans solaires ne parlaient à la pensée qu’en s’adressant aux yeux.
L’homme a trouvé que ce n’était point assez.
Il a forcé l’oreille d’entendre et d’écouter la fuite du temps.
Sans vouloir s’informer de ce qu’elles deviennent, il a mis des grelots au troupeau de ses heures,
et, grâce à cette heureuse invention, il peut de moment en moment entendre sonner le glas d’une portion de sa vie.

(Jules Lefèvre-Deumier)

 

 

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PRENEZ GARDE A LA JOLIE ANNE (Robert Burns)

Posted by arbrealettres sur 1 août 2018



Illustration: Etienne Adolphe Piot
    
PRENEZ GARDE A LA JOLIE ANNE

illustres galants, je vous donne un bon conseil,

Prenez garde à la jolie Anne ;
Sa figure avenante est si pleine de grâce,

Qu’elle vous attrapera le cœur.
Son œil si brillant est comme les étoiles dans la nuit ,

Sa peau est comme le cygne ;
Sa taille élégante est si mince dans son corsage,

Qu’aisément elle tiendrait dans vos deux mains.

La jeunesse, la grâce et l’amour marchent à sa suite,

Et le plaisir mène l’avant-garde ;
Dans tous leurs charmes, et sous leurs larmes victorieuses,

ils accompagnent la jolie Anne.
Les liens du captif peuvent enchaîner les mains ,

Mais l’amour asservit l’homme ;
Beaux galants, je vous avertis tous ,

Prenez garde à la jolie Anne.

[…]

Quel homme ne doit céder à la beauté

Dans son armure d’oeillades, et de rougeurs, et de soupirs

Et quand l’esprit et l’élégance ont poli ses dards,

Ils éblouissent nos yeux, en volant à nos cœurs

Mais la bienveillance , la douce bienveillance dans l’œil étincelant
A un éclat qui pour moi surpasse le diamant ; [de tendresse,]

Et le cœur palpitant d’amour, quand elle me serre dans ses bras,
Oh ! Voilà les charmes irrésistibles de ma chère belle !

(Robert Burns)

 

 

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A Mme du Châtelet (Voltaire)(François Marie Arouet)

Posted by arbrealettres sur 23 juillet 2018




Emilie du Châtelet   
    
A Mme du Châtelet

« Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.

Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.

De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.

Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu’il en soit un pour la sagesse.

Quoi ! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !

On meurt deux fois, je le vois bien :
Cesser d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cesser de vivre, ce n’est rien. »

Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements.

Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.

Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.

(Voltaire)(François Marie Arouet)

 

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Première Élégie de Duino (Rainer Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 19 Mai 2018



 

Alexander Anufriev 41

Première Élégie de Duino

Qui donc, si je criais, parmi les cohortes des anges
m’entendrait? Et l’un d’eux quand même dût-il
me prendre soudain sur son cœur, ne m’évanouirais-je pas
sous son existence trop forte? Car le beau
n’est que ce degré du terrible qu’encore nous supportons
et nous ne l’admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne
de nous détruire. Tout ange est terrible.
Et je me contiens donc et refoule l’appeau
de mon sanglot obscur. Hélas! qui
pourrait nous aider? Ni anges ni hommes,
et le flair des bêtes les avertit bientôt
que nous ne sommes pas très assurés
en ce monde défini. Il nous reste peut-être
un arbre, quelque part sur la pente,
que tous les jours nous puissions revoir; il nous reste
la rue d’hier et l’attachement douillet à quelque habitude du monde
qui se plaisait chez nous et qui demeura.
Oh! et la nuit, la nuit, quand le vent plein des espaces
Nous ronge la face, à qui ne resterait-elle,
tant désirée, tendrement décevante, épreuve
pour le cœur solitaire? Aux amants serait-elle
plus légère? Hélas! ils ne se cachent
que l’un à l’autre leur sort.
Ne le savais-tu pas? Hors de tes bras
lance le vide vers les espaces que nous respirons peut-être;
les oiseaux sentiront-ils l’air élargi d’un vol plus ému.

[…]

***

Die erste Elegie

Wer, wenn ich schriee, hörte mich denn aus der Engel
Ordnungen ? und gesetzt selbst, es nähme
einer mich plötzlich ans Herz : ich verginge von seinem
stärkeren Dasein. Denn das Schöne ist nichts
als des Schrecklichen Anfang, den wir noch grade ertragen,
und wir bewundern es so, weil es gelassen verschmäht,
uns zu zerstören. Ein jeder Engel ist schrecklich.
Und so verhalt ich mich denn verschlucke den Lockruf
dunkelen Schluchzens. Ach, wen vermögen
wir denn zu brauchen ? Engel nicht, Menschen nicht,
und die findigen Tiere merken es schon,
daß wir nicht sehr verläßlich zu Haus sind
in der gedeuteten Welt. Es bleibt uns vielleicht
irgend ein Baum an dem Abhang, daß wir ihn täglich
wiedersähen ; es bleibt uns die Straße von gestern
und das verzogene Treusein einer Gewohnheit,
der es bei uns gefiel, und so blieb sie und ging nicht.
O und die Nacht, die Nacht, wenn der Wind voller Weltraum
uns am Angesicht zehrt –, wem bliebe sie nicht, dei ersehnte,
sanft enttäuschende, welche dem einzelnen Herzen
mühsam bevorsteht. Ist sie den Liebanden leichter ?
Ach, sie verdecken sich nur mit einander ihr Los.
Weißt du’s noch nicht ? Wirf aus den Armen die Leere
zu den Raümen hinzu, die wir atmen ; vielleicht daß die Vögel
die erweiterte Luft fühlen mit innigerm Flug.

[…]

(Rainer Maria Rilke)

Illustration: Alexander Anufriev

 

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