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REVENIR DE LOIN (Paul Valet)

Posted by arbrealettres sur 16 juin 2024



Paul Valet 
    
REVENIR DE LOIN (extraits)

Dilater son regard
Jusqu’à l’extrême naufrage
Et se laisser envahir
Tranquillement

*

Le demi-jour qui m’habite
Me protège du grand jour

*

Je suis loin de moi
Quand j’écris

*

Ce bruit de savates
Aux heures mortes

*

Ces petites pensées mammifères
Aux portées innombrables

*

Pour devenir épave
Il faut persévérer

*
Comment échapper
Aux bruyantes certitudes?

*

– Vieille peur
Que me veux-tu?
– Prendre toute ta place!

*

Être le dernier refuge
De tous les insurgés

(Paul Valet)

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Le matériau dont les mots sont faits (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024



Illustration: Wordart Nuages de Mots
    
Le matériau dont les mots sont faits et le mortier qui les unit
m’ont peu à peu enseigné un rythme secret et solitaire.

J’ai appris que toute construction est une musique
et que toute musique est faite de regards.
Le regard d’un mot est son sens,
entre les paupières tremblantes d’une perte.

Car ce n’est pas nous qui regardons les mots :
ce sont eux qui nous regardent
et peut-être aussi au-delà de nous,
en battant des paupières d’un rythme secret et solitaire.

Peut-être que demain je trouverai un mot
qui ne regarde plus vers nulle part
et ne batte pas non plus des paupières.
Un mot qui se laisse regarder.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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BERCEUSE DE LA GRAND’MÈRE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 janvier 2024



Marie Noël
    
BERCEUSE DE LA GRAND’MÈRE

Dors maintenant, dors… Détache de ton âme
Ses pensers volants, le bruit du jour, sa flamme,
Laisse le temps s’en retirer tout bas…
Hier n’est plus, ce soir n’est rien, demain n’est pas.

Dors, ne crains rien, dors… Ce n’est rien que la vie,
Rien… cette minute expirante et suivie
Déjà d’une autre. Enfant, quels vains effrois !
On n’endure jamais qu’un moment à la fois.
Dors, ne tourne pas ton coeur pâle en arrière.
Dors, ne penche pas en avant ta lumière.

Fol est qui souffre au delà de l’instant ;
Le malheur d’aujourd’hui n’en demande pas tant.

Dors, n’attends rien, dors… Prends ce que Dieu te donne ,
Dors, laisse en aller l’amour qui t’abandonne.
Aime toujours. Va, pauvre enfant peureux,
On n’a pas besoin de bonheur pour être heureux.

Va, tout ira bien, dormons… Après, qu’importe ?
Je vois du soleil sur le seuil de la porte
De quoi poser le pied pour un seul pas.
Pour le second… il est trop tôt, ne cherche pas.

Dors, la paix sur nous sera bientôt levée.
Dors, la Mort sera tout à l’heure arrivée.
Laisse-toi porter par le temps qui court.
Il sait la route, dors… Vivre et mourir est court.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Lorsqu’elles s’éveillent (Constantin Cavafis)

Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023



Illustration: Henri Eisenberg
    
Lorsqu’elles s’éveillent

Efforce-toi de les conserver, poète,
même s’il en est peu qui se laissent capturer,
les visions de ton amour sensuel.

Glisse-les, à moitié cachées, dans tes phrases.
Efforce-toi de les conserver, poète,
lorsqu’elles s’éveillent dans ton cerveau,
la nuit, ou dans l’éclat du midi.

(Constantin Cavafis)

Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers

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Je m’en suis allé (Constantin Cavafis)

Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023




    
Je m’en suis allé

Je n’ai rien fait pour m’enchaîner.
Je me suis laissé emporter, m’en suis allé.
Vers des jouissances mi-réelles mi-fomentées par ma cervelle,
je m’en suis allé dans la nuit illuminée.
Et j’ai bu des vins forts,
comme en boivent ceux qui vont au plaisir d’un coeur entier.

(Constantin Cavafis)

Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers

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Emparons-nous de ce feu (Arthur Teboul)

Posted by arbrealettres sur 29 octobre 2023




    
Pensez à un nom

Laissez un nom commun vous venir à l’esprit.
Écrivez-le.
Qu’il vous plaise ou non.
Qu’il vous trahisse ou non.
Écrivez-le.

Il est presque certain qu’un adjectif vous passera alors par la tête
– pour qualifier ce nom arrivé par hasard.
Cet adjectif-là, écrivez-le aussi.
À la suite du nom. Ne le refusez pas. Cette place lui revient.
Il fait fi de toute cohérence, de toute grâce ?
Il est grotesque, banal ? Qu’importe !
Écrivez-le.

Tournevis déchu

De cette association inattendue,
entre ce nom venu par inadvertance et cet adjectif non désiré,
naît une image nouvelle, inconnue,
un trésor qui réveille la part magique des mots et notre part de mystère.
Cette part de soi-même inconnue à soi-même.

De ce rapprochement fortuit jaillissent des étincelles
qui nous révèlent une histoire du monde
oubliée, fabuleuse, archaïque et ultramoderne.
Le grain de sable entre dans la machine de l’habitude,
court-circuite sa routine,
et provoque une lumière accidentelle.

Passé, présent, futur se télescopent en un éclair
qui illumine un instant l’envers du monde.

Il y a quelque chose de plus.
Si on ne se laisse pas intimider
par cette langue de l’enfance et de l’inconnu,
le réel s’offre dans une profondeur nouvelle.
Il s’élargit.
En le nommant autrement, on le fait advenir autrement.
On s’autorise un rêve, une vision.

Il suffit de le dire :

Passants minimalistes
Ça y est, ils existent.
Regardons-les traverser.

Lune abstraite
Voilà qu’elle nous éclaire !

Cet exercice en est un parmi d’autres
pour s’accoutumer à la langue frontalière de la poésie.
Pour rendre à notre langage, en le détournant de son usage quotidien, sa vitalité.
Pour le rendre de nouveau fidèle à la vie, l’invraisemblable.

Quand on dispose les mots de tous les jours dans un ordre déconcertant,
on résiste ordinairement à l’emploi purement utilitaire de la parole.
À l’emploi purement pratique de nos vies.
La poésie est un contre-pouvoir.
Ce n’est pas anodin qu’elle soit un secret si bien gardé.

Emparons-nous de ce feu.

(Arthur Teboul)

Recueil: Le Déversoir Poèmes minute
Editions: Seghers

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EN POUSSIÈRE (Ursula K. Le Guin)

Posted by arbrealettres sur 8 octobre 2023




    
EN POUSSIÈRE

Esprit, prépare-toi pour les voyages à venir du corps,
les mouvements de la matière qui te faisait.

Élève toi dans les volutes de palo santo.
Retombe sur terre avec la pluie.
Pénètre, au plus profond, dans les racines lointaines.
Monte doucement dans la sève qui s’élève
jusqu’aux branches, à la couronne, à la pointe des feuilles.
Reviens à terre comme les feuilles en automne
et gis dans la patiente décomposition de l’hiver.
Relève-toi dans les vertes sources du printemps.
Laisse-toi porter au soleil avec le pollen sacré
pour retomber comme une bénédiction.

Toute poussière de la terre
fut vie, fit âme, est sacrée.

***

COME TO DUST

Spirit, rehearse the journeys of the body that are to come,
the motions of the matter that held you.

Rise up in the smoke of palo santo.
Fall to the earth in the falling rain.
Sink in, sink down to the farthest roots.
Mount slowly in the rising sap to the branches,
the crown, the leaf-tips.
Come down to earth as leaves in autumn
to lie in the patient rot of winter.
Rise again in spring’s green fountains.
Drift in sunlight with the sacred pollen
to fall in blessing.

All earth’s dust
has been life, held soul, is holy.

(Ursula K. Le Guin)

Recueil: Derniers poèmes
Editions: Aux Forges de Vulcain

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Il n’est nul chemin, nul talisman (Georges-Emmanuel Clancier)

Posted by arbrealettres sur 13 juillet 2023




    
Il n’est nul chemin, nul talisman,
Tant de jours ont passé…
Tant de silence amoncelé.
Au moins si je me souvenais,
Mais il a fallu se laisser arracher
Heure par heure
Les dons de la vie.
Maintenant quel regard,
Quel geste,
Quel rapt ou quelle prière,
Quel orgueil,
Quel abandon
Feront s’ouvrir
Pour le temps d’un appel ou d’un chant
Les portes condamnées ?

(Georges-Emmanuel Clancier)

Recueil: Terres de mémoire
Editions: La Table Ronde

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Le secret (Joseph-Paul Schneider)

Posted by arbrealettres sur 27 avril 2023



Illustration: Thomas-Alexander Harrison
    
Le secret

Ecoute mon enfant
les verts secrets des branches
et ceux de la sève
qui irrigue l’arbre

Regarde danser l’abeille
perce le secret de cet alchimiste
qui transforme en miel
la poudre d’or des fleurs

Mets ton oreille
contre la mousse du rocher
pour capter le grand secret
des pierres

Cours vite à la mer
et laisse-toi bercer
par le secret du chant
des vagues

(Joseph-Paul Schneider)

Recueil: Jean Orizet: Les plus beaux poèmes pour les enfants

Editions: Le Cherche Midi

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Le pastoureau (Saint Jean de la Croix)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2023




Illustration: Georges Paul François Laurent Laugée
    
Le pastoureau

Un pastoureau, seul, est en peine,
loin de tout plaisir et contentement,
en sa pastourelle la pensée fixée,
et le coeur d’amour très blessé.

Ne pleure pas que l’amour l’ait meurtri,
car il n’a peine ainsi d’être affligé,
bien qu’en son coeur il soit blessé :
il pleure à la pensée de se voir oublié.

Car rien qu’à la pensée d’être oublié
de sa belle bergère, en grande peine,
en terre étrangère se laisse maltraiter,
le coeur de l’amour fort blessé.

Et le pastoureau dit : « Ah ! malheur
à qui de mon amour s’est fait absent,
et ne veux pas jouir de ma présence
et de mon coeur par son amour blessé ! »

***

El pastorcico

Un pastorcico solo está penado,
ajeno de placer y de contento,
y en su pastora puesto el pensamiento,
y el pecho del amor muy lastimado.

No llora por haberle amor llagado,
que no le pena verse así afligido,
aunque en el corazón está herido ;
mas llora por pensar que está olvidado.

Que sólo de pensar que está olvidado
de su bella pastora, con gran pena,
se deja maltratar en tierra ajena,
el pecho del amor muy lastimado.

Y dice el pastorcico : ¡Ay desdichado
de aquel que de mi amor ha hecho ausencia,
y no quiere gozar la mi presencia
y el pecho por su amor muy lastimado!

Y a cabo de un gran rato se ha encumbrado
sobre un árbol, do abrió sus brazos bellos,
y muerto se ha quedado, asido de ellos,
el pecho del amor muy lastimado.

(Saint Jean de la Croix)

Recueil: Jean de la Croix L’oeuvre poétique
Traduction: de l’espagnol par Bernard Sesé
Editions: Arfuyen

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