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Lumière d’on ne sait quelle éternité (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 16 juin 2024




    
Lumière d’on ne sait quelle éternité

1

Avant l’instant,
Avant l’effraction, la fracture,
Avant la matière sombre des âges,
Avant l’azur des jours et des nuits,
Rien que l’énergie noire.

Avant le secret,
Avant le gong du silence, la blessure,
Avant la résurgence des mystères,
Avant le palimpseste des métaphores,
Rien que l’énergie noire.

Avant l’inconnu,
Avant l’abîme à naître, la brûlure,
Avant la mise en ordre du chaos,
Avant le nom même du néant,
Rien que l’énergie noire.

Avant l’effroi,
Avant l’incendie sans ravage, la démesure,
Avant le déluge aride,
Avant la forge implacable des destinées,
Rien que l’énergie noire.

Avant la perte,
Avant la dépense sans retour, l’aventure,
Avant la part souveraine et maudite,
Avant l’insoutenable beauté,
Rien que l’énergie noire.

Avant la fable,
Avant l’hypothèse de Dieu, l’augure,
Avant le battement de paupières du désastre,
Avant l’ironie de tout cela,
Rien que l’énergie noire.

Avant le réel,
Avant le swing de la raison, la rature,
Avant l’idée du compte à rebours,
Avant le premier zéro,
Rien que l’énergie noire.

Avant la vision,
Avant l’agonie de l’origine, l’obscure,
Avant le continuum des limbes,
Avant l’écoute calcinée des nébuleuses,
Rien que l’énergie noire.

Rien que le rien,
Rien que l’autre versant,
Rien que l’autre rive,
Rien que le bord à bord de l’absence,
Rien que l’énergie noire.

2

Alors l’instant,
Alors en moins d’une seconde, l’initiale,
Alors en moins d’un dixième, d’un centième, d’un millième de seconde,
Alors tout soudain comme depuis toujours
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors le secret,
Alors le raffut de l’incréé, la rafale,
Alors la fureur à vide,
Alors l’impact sans point de chute
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors l’inconnu,
Alors la voie magnétique, la sidérale,
Alors l’équation des forces aimantées,
Alors la manne symphonique
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors l’effroi,
Alors la dispersion à mesure, la bacchanale,
Alors la ronde des atomes jetés droit devant,
Alors la recomposition des masses subtiles
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors la perte,
Alors la certitude du sans-repos, la boréale,
Alors le tourment de l’illimité à pierre fendre,
Alors l’innocence de ce qui participe
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors la fable,
Alors l’exploration à l’aveugle, le dédale,
Alors les fourvoiements entre lueurs et marées de sulfures,
Alors les chants imaginaires et trompeurs
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors le réel,
Alors la revanche de la pesanteur, l’infernale,
Alors les pierres d’attente écarlate,
Alors la gangue fauve
D’un même feu, d’une même cendre.

Alors la vision,
Alors l’éveil d’une étoile, l’idéale,
Alors la traversée des nuées sonores et bleues,
Alors l’harmonie galactique
D’un même feu, d’une même cendre.

D’un même élan, d’une même apocalypse,
D’un même espoir, d’une même ingratitude,
D’un même appel, d’une même vindicte,
D’un même viatique, d’une même colère,
D’un même feu, d’une même cendre.

3

Ici l’instant,
Ici la promesse insensée, l’imprévisible,
Ici les orages attentifs et qui sauvent,
Ici la planète fertile,
La terre par miracle advenue.

Ici le secret,
Ici le creuset le plus obscur, l’intraduisible,
Ici les formules qui fomentent le lieu,
Ici la transmutation de la fureur et des codes,
La terre par miracle advenue.

Ici l’inconnu,
Ici le pas de plus, l’impossible,
Ici l’invention du ciel à ciel ouvert,
Ici la vigie des univers,
La terre par miracle advenue.

Ici l’effroi,
Ici le risque à prendre, l’irréductible,
Ici le passage sans preuves ni balises,
Ici le pari des saisons exténuées,
La terre par miracle advenue.

Ici la perte,
Ici l’arc de la soif et du sang, la cible,
Ici le vent pourri de l’histoire,
Ici le combat à mains nues,
La terre par miracle advenue.

Ici la fable,
Ici l’envol féerique du limon, l’invincible,
Ici la querelle des anges qui ne chantent pas,
Ici la symphonie des mondes,
La terre par miracle advenue.

Ici le réel,
Ici la vertu des choses obstinées, l’infaillible,
Ici la vérité de ce qui est,
Ici le séjour à la vie à la mort,
La terre par miracle advenue.

Ici la vision,
Ici le prodige à l’état pur, l’inaccessible,
Ici les merveilleux nuages rouges et blancs,
Ici la science qui n’en croit plus ses yeux,
La terre par miracle advenue.

La terre qui n’a pas crié terre,
La terre donnée, abandonnée,
La terre ardente, indifférente,
La terre par défaut révélée,
La terre par miracle advenue.

(André Velter)

Recueil: Séduire l’Univers
Editions: Gallimard

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Quand cesserez-vous ma reine (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 14 novembre 2023



Illustration: Jean-Pierre Ceytaire
    
Quand cesserez-vous ma reine
De mettre un amant aux abois
Ne serez vous jamais lasse
De le tenir sous vos lois.
Un rival a su vous charmer,
Ah mon malheur a su vous plaire.
Et moi, malheureux amant,
Il faut mourir en vous aimant.

2

Accordez charmante reine
Accordez à ce malheureux
Qui vient de briser ses chaînes.
Pour te faire ses adieux,
Belle, en regrettant vos beaux yeux.
Le tombeau sera mon partage
Mais pour reposer mon corps
Je serai au rang des morts.

3

Quand vous marcherez sur ma tombe,
Mes os remueront assurément.
Et mon cœur, charmante blonde,
Palpitera dans l’instant.
Ce sera en vous regrettant.
De toutes vos ingratitudes.
Mais il ne sera plus temps
Je serai au monument.

(Chansons du XVIIIè)

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Desiderata (Max Ehrmann)

Posted by arbrealettres sur 2 janvier 2019




    
Desiderata

Reste calme au milieu du bruit et de l’impatience
et souviens-toi de la paix qui découle du silence.

Autant que tu le peux, mais sans te renier,
sois en bons termes avec tout le monde.
Dis ce que tu penses, clairement, simplement;
et écoute les autres,
même les sots et les ignorants;
eux aussi ont quelque chose à dire.

Evite les gens grossiers et violents;
ils ne sont que tourments pour l’esprit.

Si tu te compares aux autres,
tu risques de devenir vaniteux ou amer,
il y aura toujours quelqu’un de plus grand ou de plus petit que toi.
Sois fier de ce que tu as fait et de ce que tu veux faire.
Aime ton métier, même s’il est humble;
c’est un bien précieux en notre époque trouble.

Sois prudent dans tes affaires,
car on pourrait te jouer de vilains tours.
Mais que ceci ne te rende pas aveugle à ce qu’il y a de beau;
bien des gens luttent pour un idéal et,
partout sur la Terre, on fait preuve de courage.

Sois toi-même, surtout dans tes affections.
Fuis par-dessus tout le cynisme en amour,
car il persiste même après avoir desséché ton cœur et désenchanté ton âme.

Permets-toi de t’enrichir de l’expérience des ans,
te défaisant progressivement de tes puérilités.
Affermis-toi pour faire face aux malheurs de la vie.
Mais ne te détruis pas par une imagination maladive;
bien des peurs prennent naissance dans la fatigue et la solitude.

Malgré la saine discipline qui s’impose,
sois bon envers toi-même.
Tu es un enfant de l’univers,
tout comme les arbres et les étoiles:
tu as le droit d’être ici.
Et même si cela n’est pas clair en toi,
sois assuré que tout se passe dans l’univers selon ses règles propres.

Par conséquent, sois en paix avec ton Dieu,
quelle que soit en toi son image.
Et par-delà tes peines et tes aspirations,
au milieu de la confusion de la vie,
sois en paix avec ton âme.

Dis-toi qu’en dépit de ses faussetés, de ses ingratitudes, de ses rêves brisés,
le monde est tout de même merveilleux.
Répands la bonne humeur. Et tâche d’être heureux.

***

Desiderata

Go placidly amid the noise and haste,
and remember what peace there may be in silence.
As far as possible without surrender
be on good terms with all persons.
Speak your truth quietly and clearly;
and listen to others,
even the dull and the ignorant;
they too have their story.

Avoid loud and aggressive persons,
they are vexations to the spirit.
If you compare yourself with others,
you may become vain and bitter;
for always there will be greater and lesser persons than yourself.
Enjoy your achievements as well as your plans.

Keep interested in your own career, however humble;
it is a real possession in the changing fortunes of time.
Exercise caution in your business affairs;
for the world is full of trickery.
But let this not blind you to what virtue there is;
many persons strive for high ideals;
and everywhere life is full of heroism.

Be yourself.
Especially, do not feign affection.
Neither be cynical about love;
for in the face of all aridity and disenchantment
it is as perennial as the grass.

Take kindly the counsel of the years,
gracefully surrendering the things of youth.
Nurture strength of spirit to shield you in sudden misfortune.
But do not distress yourself with dark imaginings.
Many fears are born of fatigue and loneliness.
Beyond a wholesome discipline,
be gentle with yourself.

You are a child of the universe,
no less than the trees and the stars;
you have a right to be here.
And whether or not it is clear to you,
no doubt the universe is unfolding as it should.

Therefore be at peace with God,
whatever you conceive Him to be,
and whatever your labors and aspirations,
in the noisy confusion of life keep peace with your soul.

With all its sham, drudgery, and broken dreams,
it is still a beautiful world.
Be cheerful.
Strive to be happy.

(Max Ehrmann)

 

Recueil: Desiderata of Happiness
Traduction: Hubert Claes
Editions:

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CALENDRIER (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 3 août 2018



 

CALENDRIER

La fumée des cigares
la chaleur des maisons
la lumière des océans et des rivières
sont nos chers compagnons
Et pourtant notre ingratitude est sans bornes
comme nos regards comme notre voix
Nous passons avec notre rire
pour mieux voir les bonheurs des dames
et les paradis des enfants
Nous ne savons pas qu’il existe quelque part
une île
un désert
pour les petits
Aujourd’hui et demain
comme deux mains croisées
supportent malgré tout la chaleur des années
Nous pouvons courir
et nous pouvons mourir
la pluie sera pour nous la chère bienvenue
son visage sanglant et ses mains croisées
supportent elles aussi la chaleur des années

(Philippe Soupault)

Illustration

 

 

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ODE DE MES PEINES (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 29 avril 2018



ODE DE MES PEINES

Peut-être que quelqu’un, que quelques-uns
veulent savoir
quelque chose de moi.

Je m’interdis
de parler de mes peines.
Encore jeune, presque vieux
et suivant mon chemin
je ne puis
sans
épines
couronner
mon coeur
qui a tant
travaillé,
mes yeux
qui ont exploré la tristesse
et sont revenus sans pleurs
des embarcations
et des îles.

Je vais vous raconter comment
quand je suis né
les hommes, mes amis,
aimaient
la solitude, l’air
le plus lointain,
et la vague aux sirènes.

Je suis revenu
des
archipels,
je suis revenu des jasmins,
du désert,
pour être,
être,
être,
avec d’autres êtres,
et quand j’ai été,
non pas ombre ni évadé,
un humain, j’ai reçu les chargements
du coeur humain,
les perfides cailloux
de l’envie,
l’ingratitude servile de chaque jour.

Reviens, Monsieur, susurrent
de plus en plus lointaines les sirènes :
elles fouettent l’écume
et coupent de leur queue
argentée
la transparente
mer
des souvenirs.

Nacre et lumière mouillées
comme des fruits jumeaux
à la clarté de la lune enivrante.

Ah! et je ferme les yeux.

Le murmure du ciel dit adieu.
Je vais à ma porte recevoir des épines.

(Pablo Neruda)


Illustration

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Si vous m’aimez (Robert Sabatier)

Posted by arbrealettres sur 12 février 2018




    
Si vous m’aimez

Si vous m’aimez, dites-le à la mer,
au feu dans l’âtre, au vent d’automne,
au ciel futur… Ne me le dites pas.
Vous écoutant, j’aurais l’ingratitude
d’aimer la mer, le vent, le feu de l’âtre…
bien plus que vous, bien plus que vos paroles.

Si je retourne à la terre, aux étoiles,
si je renonce à la vie, à la mort,
aux mots que j’aime, à mes poèmes frères
pour célébrer votre seule présence,
je gravirai la pente jusqu’à vous.

Si vous m’aimez, délivrez-vous de n’être
que ce corps neuf apprivoisant le ciel
pour devenir le rêve de mon rêve.

(Robert Sabatier)

 

Recueil: Oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Albin Michel

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LIES (César Vallejo)

Posted by arbrealettres sur 28 novembre 2016



LIES

Cette après-midi il pleut, comme jamais; et je n’ai pas
envie de vivre, mon petit coeur.

Cette après-midi est douce. Pourquoi ne le serait-elle pas?
Comme une femme, elle s’habille de grâce et de peine.

Cette après-midi il pleut sur Lima. Et je me souviens
des cavernes cruelles de mon ingratitude;
de mon pain de glace sur son pavot,
plus fort que son « Ne sois pas comme ça! »

Mes violentes fleurs noires ; et l’affront
barbare et énorme ; et le trajet glacial.
Et le silence de sa dignité qui mettra
point final avec huiles brûlantes.

C’est pourquoi cette après-midi, je marche comme jamais,
avec ce hibou, avec ce petit coeur.
D’autres après-midi pussent; me voyant si triste,
elles prennent ce petit peu de toi
dans la ride abrupte de ma douleur profonde.

Cette après-midi il pleut, il pleut à verse. Et je n’ai pas
envie de vivre, mon petit coeur.

***

HECES

Esta tarde llueve como nunca; y no
tengo ganas de vivir, corazón.

Esta tarde es dulce. Por qué no ha de ser?
Viste gracia y pena; viste de mujer.

Esta tarde en Lima llueve. Y yo recuerdo
las cavernas crueles de mi ingratitud;
mi bloque de hielo sobre su amapola,
más fuerte que su “No seas así!”

Mis violentas flores negras; y la bárbara
y enorme pedrada; y el trecho glacial.
Y pondrá el silencio de su dignidad
con. óleos quemantes el punto final.

Por eso esta tarde, como nunca, voy
con este búho, con este corazón.

Y otras pasan; y viéndome tan triste,
toman un poquito de ti
en la abrupta arruga de mi hondo dolor.

Esta tarde llueve, llueve mucho. ¡Y no
tengo ganas de vivir, corazón!

(César Vallejo)


 

 

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