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Poésie

Posts Tagged ‘tocsin’

EH (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 15 juin 2024



    

EH

Par une grâce obscure,
par le tocsin d’un coeur précipité,
j’ai traversé de hautes fréquences :

c’est fou comme l’on peut revenir de loin
sans avoir bougé d’une seule voyelle
l’alphabet de son être !

Je prends à nouveau appui
sur ce que je suis,

sur mes amours, quelques amis,
la fine fleur de mes désirs,
le fin mot de mes errances,

surtout, je remets en harmonie
ma carcasse terrestre
selon les prescriptions de Zhoughi :

36 fois je serre et frotte légèrement les dents…

et ainsi de suite,
sans omettre le moindre exercice
de cette gymnastique taoïste
qui réconcilie avec plus vaste que soi.

Oui,
tambouriner l’arrière du crâne
pour libérer les vocalises,

décrasser les cervicales
pour fixer les vertiges,

capter la salive aux coins de la bouche
pour goûter au rythme des marées,

masser rudement les reins
pour ranimer la flamme,

tourner successivement chaque bras en l’air,
puis les deux ensemble
pour se réconcilier avec les moulins à vent,
émettre à pleine puissance le son HE
pour expulser les ombres mortes,
paumes à l’envers au-dessus de la tête,
prêtes à supporter le ciel,

saisir à deux mains la plante de ses pieds
pour identifier le ferme équilibre…

HE HE HE HE HE, par cinq fois,

et maintenant,
tout à l’heure,
demain ou plus tard
échappent à la désolation.

(André Velter)

Recueil: Séduire l’Univers
Editions: Gallimard

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LA MONTRE (Théophile Gautier)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2024




    
LA MONTRE

Deux fois je regarde ma montre,
Et deux fois à mes yeux distraits
L’aiguille au même endroit se montre ;
Il est une heure… une heure après.

La figure de la pendule
En rit dans le salon voisin,
Et le timbre d’argent module
Deux coups vibrant comme un tocsin.

Le cadran solaire me raille
En m’indiquant, de son long doigt,
Le chemin que sur la muraille
A fait son ombre qui s’accroît.

Le clocher avec ironie
Dit le vrai chiffre et le beffroi,
Reprenant la note finie,
A l’air de se moquer de moi.

Tiens ! la petite bête est morte.
Je n’ai pas mis hier encor,
Tant ma rêverie était forte,
Au trou de rubis la clef d’or !

Et je ne vois plus, dans sa boîte,
Le fin ressort du balancier
Aller, venir, à gauche, à droite,
Ainsi qu’un papillon d’acier.

C’est bien de moi ! Quand je chevauche
L’Hippogriffe, au pays du Bleu,
Mon corps sans âme se débauche,
Et s’en va comme il plaît à Dieu !

L’éternité poursuit son cercle
Autour de ce cadran muet,
Et le temps, l’oreille au couvercle,
Cherche ce coeur qui remuait ;

Ce coeur que l’enfant croit en vie,
Et dont chaque pulsation
Dans notre poitrine est suivie
D’une égale vibration,

Il ne bat plus, mais son grand frère
Toujours palpite à mon côté.
– Celui que rien ne peut distraire,
Quand je dormais, l’a remonté !

(Théophile Gautier)

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L’embarcadère (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2023




    
L’embarcadère

Le désir est pareil à cette porte,
Du temps des surréalistes au 54 rue du Château,

À la fois ouverte et fermée,

Pour les départs à tous les vents
Et le refuge des nuits de magie claire.

*

La poésie aussi est cet impossible même
Qui tient les deux côtés de la frontière,

Sur les pentes d’on ne sait quel exil,

Quand le tocsin qui bat le sang
Éveille un chant de mort où renaître.

*

Mais il n’y a pas d’illusion à se faire,
L’insolente issue de série noire

A retrouvé ses garde-fous domestiques,

Chambranle, serrure, verrou,
Tout l’agencement de la syntaxe grégaire.

*

Le génie du lieu n’a pas laissé de gages,
Juste un éclair de légende libertaire

Et guère plus de réalité jetée hors champ

Que quelques mutineries de corps, d’esprit,
Voire de cadavres exquis.

*

L’embarcadère perdure pourtant,
Qui ravive l’insomnie du dernier navire venu

Au large de Tossa de Mar,

Vaisseau fantôme caréné d’or et d’aube
Dans les yeux fauves d’Ava Gardner.

*

C’est qu’une splendeur fatale
Mène les amours et les âmes

Jusqu’à revenir de tout

Sans qu’il y ait à changer d’impatience
Ni de sens ascendant.

*

Nous avançons à l’orient de nous,
Avec la force de conquérants inutiles,

Décidés comme jamais

À découvrir les traces qui tout effacent
Autant de ce côté-ci que de l’autre.

(André Velter)

Recueil: Trafiquer dans l’infini
Editions: Gallimard

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Oser encore (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 19 octobre 2020



Oser encore

Oser encore recourir au visage
Oser encore

Que brasses-tu, ami, qui ne s’écarte ?
Où souhaiter la tendre halte
Si ce n’est avec l’autre
Plus d’une fois accordé ?

Quel chemin, ami, ne se conteste ?
Quel chant ne rompt le tocsin ?
En quelle terre fugace reprendre vie,
Si ce n’est en l’autre
Par-delà le soupçon?

Oser encore recourir à l’espoir
Oser encore

Porter l’instant et le rendre à lui-même
Répondre quel qu’il soit
Au baiser de la terre,
Vouloir ce plus loin dont on ne sait le nom.

(Andrée Chedid)


Illustration: Josée Tourrette

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Chanson (Jean Moréas)

Posted by arbrealettres sur 24 février 2019



Frank Bernard Dicksee   08

 

Chanson

Vous, avec vos yeux, avec tes yeux,
Dans la bastille que tu hantes !
Celui qui dormait s’est éveillé
Au tocsin des heures beuglantes.
Il prendra sans doute
Son bâton de route
Dans ses mains aux paumes sanglantes.

Il ira, du tournoi au combat,
À la défaite réciproque ;
Qu’il fende heaumes beaux et si clairs,
Son pennon, qu’il ventèle, est loque !
Le haubert qui lace
Sa poitrine lasse,
Si léger ! il fait qu’il suffoque.

Ah, que de tes jeux, que de tes pleurs
Aux rémissions tu l’exhortes,
Ah laisse ! tout l’orage a passé
Sur les lys, sur les roses fortes.
Comme un feu de flamme
Ton âme et son âme,
Toutes deux vos âmes sont mortes.

(Jean Moréas)

Illustration: Frank Bernard Dicksee 

 

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Tranquille comme un sage et doux comme un maudit (Charles Baudelaire)

Posted by arbrealettres sur 19 novembre 2018




Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,
…j’ai dit:
Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…
Que de fois…
Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,
Ton goût de l’infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,

Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,
Tes faubourgs mélancoliques,
Tes hôtels garnis,
Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,
Tes temples vomissant la prière en musique,
Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,
Tes découragements;

Et tes jeux d’artifice, éruptions de joie,
Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.

Ton vice vénérable étalé dans la soie,
Et ta vertu risible, au regard malheureux,
Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie…

Tes principes sauvés et tes lois conspuées,
Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes.
Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,
Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,
Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,
Tes magiques pavés dressés en forteresses,

Tes petits orateurs, aux enflures baroques,
Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,
S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,
Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques
Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,
Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.

Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

(Charles Baudelaire)

Illustration: Eugène de Blaas

 

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RUTILE (Jacques Lacarrière)

Posted by arbrealettres sur 8 septembre 2018



RUTILE

Sang séché. Fièvre figée du feu.
Gisant des clairs filons où ton destin s’éploie.
Oui. Gisant aux mains jointes des ères.
Toi, le glas du soleil, le tocsin des calcaires.

(Jacques Lacarrière)


Illustration

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OSER ENCORE (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 6 juillet 2018



 

Misha Gordin shout13

OSER ENCORE

Oser encore recourir au visage
Oser encore

Que brasses-tu, ami, qui ne s’écarte ?
Où souhaiter la tendre halte
Si ce n’est avec l’autre
Plus d’une fois accordé ?

Quel chemin, ami, ne se conteste ?
Quel chant ne rompt le tocsin ?
En quelle terre fugace reprendre vie,
Si ce n’est en l’autre
Par-delà le soupçon ?

Oser encore recourir à l’espoir
Oser encore

Porter l’instant et le rendre à lui-même
Répondre quel qu’il soit
Au baiser de la terre,
Vouloir ce plus loin dont on ne sait le nom.

(Andrée Chedid)

Illustration: Misha Gordin

 

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Avez-vous vu Lambert? (Robert Desnos)

Posted by arbrealettres sur 17 février 2018




    
Avez-vous vu Lambert?

1
Je vais vous chanter
Un fait historique
Qui s’est déroulé
Avant l’avèn’ment de la République:
Au bois d’ Vincenn’ monsieur Lambert
Madame Lambert, les p’tits Lambert
Par un matin d’été superbe
Allèrent déjeuner sur l’herbe.
Monsieur Lambert sans crier gare
S’éloigna pour aller acheter un cigare.

Refrain 1
Madam’ Lambert affolée
Criait d’allée en allée
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert ?
Les p’tits Lambert tout en larmes
Faisaient aussi du vacarme
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert?
Les passants que ça fit rire
À leur tour se mir’nt à dire
Lambert! Lambert!
Avez-vous Lambert ?
Avez-vous Lambert?
Lambert ?

2
Rentrée dans Paris
La foule joyeuse
Continua ses cris
D’ la porte Dorée à la rue Vineuse
Faubourg Saint-Denis, Rue d’ Rivoli
Rue Rossini, rue Cassini
Place du Trôn’, quai de Grenelle
Et Boulevard Bonne Nouvelle
Chacun criait à perdre haleine
Comm’ des fous, comm’ des sourds, des putois, des baleines.

Refrain 2
Napoléon trois s’inquiète
La police est en alerte
Lambert! Lambert!
Arrêtez donc Lambert!
Le tocsin, la générale
Composent une chorale
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert ?
Méfiez-vous il est terrible
Il pourrait vous prendr’ pour cible
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert ?
Arrêtez donc Lambert!
Lambert!

3
Je connais des gens
Dont la renommée
Est comme un volcan
Vomissant des lay’s et de la fumée
Ils pouss’nt des cris, ils, font du bruit
On est surpris, on perd l’esprit
On court à gauche, on court à droite
Et le pantin sort de sa boîte
Quoi c’était ça le monstre horrible
Le dragon, le costaud, le méchant, le terrible.

Refrain 3
Et pendant ce temps les heures
Sont rentrées dans leur demeure
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert ?
C’est le vent qui le remporte
Le destin ouvre sa porte
Lambert! Lambert!
Viens te coucher Lambert
Et les enfants des écoles
S’amusent sur ces paroles
Lambert! Lambert!
Avez-vous vu Lambert ?
Avez-vous vu Lambert ?
Lambert!

(Robert Desnos)

 

Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier

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Visage des rues (Alain Borne)

Posted by arbrealettres sur 22 décembre 2017



Illustration
    
Visage des rues,
tant de soleil,
et l’odeur de la poussière
sur les fleurs vendues fanées.

Un grand tocsin
sème d’hirondelles
le myosotis du ciel.

Le sang cherche encore le sang
parmi la neige trouée d’yeux,
et le silence pèse les coeurs.

Aventure, ma surprise,
douce jupe poursuivie
et fendue pour la capture.

On rêve jusque dans la chambre
où le printemps éteint le lit
de ses membres enfin nus.

C’est toujours le même sang,
La même robe de peau franche,
tendue sur le même osier.

Les mêmes gestes alentour,
la même joie évanouie,
le même illisible retour.

(Alain Borne)

 

Recueil: Oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Curandera

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